36.15
Code
Père Noël
La fin de l'innocence
René Manzor, le réalisateur de 36.15 code Père Noël, en tournant son film était convaincu que ce serait son dernier, il n’en a rien été
Réalisation : René Manzor
Scénario : René Manzor Distribution :
Année : 1989 Synopsis : Thomas Frémont vit avec sa mère, une femme d’affaires qui possèdent plusieurs grands magasins, et son grand-père maternel, qui ne voit plus grand-chose et qui est diabétique, dans un château. Enfant très intelligent et débrouillard Thomas vit dans un monde de rêve qui commence à s’effriter notamment parce que son copain Pilou prétend que le Père Noël n’existe pas. C’est pour lui prouver qu’il a tort que Thomas veille pour surprendre le Père Noël mais l’homme qui descend par la chemin n’est pas l’homme qu’il croit. |
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Il n’y avait pas de minitel à la maison mais je suis assez vieux pour me souvenir des affiches 36.15 Ulla qui ornaient les transformateurs EDF perdus dans la campagne mayennaise. Quand on a, comme moi, été bercé aux aventures de Kevin McCallister (Macaulay Culkin) le jeune héros de Maman, j’ai raté l’avion ! (Chris Columbus à la réalisation et John Hughes au scénario) la découverte tardive, à l’âge adulte, de 36.15 code Père Noël est une expérience curieuse, comme un voyage dans un monde parallèle. La découverte d’une réalité alternative dans laquelle la comédie de son enfance se serait muée en un thriller angoissant et extrême dans sa proposition. 36.15 code Père Noël c’est aussi la nostalgie instantanée et pleine de regrets pour ce qui aurait pu être un film culte de mon enfance.
36.15 code Père Noël est un long métrage français réalisé et scénarisé par René Manzor (Un amour de sorcière ou les séries Les Aventures du jeune Indiana Jones et Highlander le temps d’un épisode…) qui précède celui avec Macaulay Culkin d’un an. Loin de l’humour slapstcik qui caractérise Maman, j’ai raté l’avion ! et qui tire le film vers une violence cartoonesque et dédramatisée Manzor réalise un conte contemporain à l’inquiétante étrangeté. La citation de Bruno Bettelheim (auteur mondialement connu de la Psychanalyse des contes fée) en épigraphe est un indice de cette envie de mettre sur pellicule une histoire jamais pleinement réaliste et qui est pourtant exempte de fantastique. 36.15 code Père Noël est une œuvre onirique qui suit les (més)aventures du jeune Thomas un garçon confronté à une Père Noël de cauchemar. Thomas est interprété par Alain Lalanne le fils du réalisateur qui n’a pas une grande carrière d’acteur mais qui s’est fait un nom dans les effets spéciaux et qui a travaillé sur des superproductions comme Avatar et The Dark Knight: Le chevalier noir ou une série comme American Gods.
Thomas est un de ces enfants intelligents et débrouillards comme les aimait le cinéma U.S. des années 80. Il est un cousin Français de la bande des Goonies et son déguisement en simili Rambo peut aussi (c’est le cas de votre serviteur) évoquer Gizmo quand, face à l’adversité, il calque son attitude sur celle du personnage de Sylvester Stallone. Même si là encore 36.15 code Père Noël précéda de quelques années Gremlins 2. Manzor prend ce qu’il faut de temps pour nous présenter le garçon, sa famille composée de son grand-père maternel (Louis Ducreux) et de sa mère (Brigitte Fossey) une femme très prise par son travail ainsi que son adversaire interprété par Patrick Floersheim.?
Le méchant, l’antagoniste principal, n’est pas à négliger quand on tourne un long métrage qui est basé sur une opposition aussi complète entre un héros, le petite Thomas, et un méchant, le Père Noël, un marginal sans nom. Patrick Floersheim fait des merveilles dans son rôle d’un marginal qui s’il n’est pas mauvais en soit est malgré tout un malfaiteur, dans le sens où ce sont ses actions qui en font le méchant de l’histoire même si de son point de vue ses actions sont bonnes. Il n’est pas interdit devant ce personnage d’éprouver une forme de compassion colorée du noir et du rouge de l’effroi devant cet enfant dans un corps d’homme qui n’a sa place ni parmi les enfants qui ont, à raison, peur de lui ni au milieu d’adultes qu’il ne comprend pas et dont ils ne recherchent pas particulièrement la compagnie. A l’écart de l’archétype américain du tueur prédateur le personnage de Floersheim est d’autant plus dérangeant qu’il suscite le malaise avec cette sorte d’innocence criminelle. C’est le ravi de la crèche qui se mettrait à trucider tout le monde. C’est aussi un personnage triste qui n’a de place nulle part ce qui ne justifie pas ces crimes mais lui donnent de l’épaisseur. Il n’est pas qu’une figure du Mal, la mère de Thomas lui avait dit qu’il ne fallait pas surprendre le Père Noël sans quoi celui-ci se fâcherait et se changerait en ogre. Cette histoire qui n’avait d’autre but que d’envoyer le gamin se coucher amène Thomas à croire que son agresseur est bien ce Père Noël authentique mais courroucé par sa transgression. Floersheim, qui fut aussi à grand acteur de doublage, ne dit pas un mot ou si peu que sa prestation n’en est que plus marquante.
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36.15 code Père Noël est imprégné de cinéma états-uniens, de films de genres, de cinéma d’action et aussi selon les dires même du réalisateur de ce cinéma français de studio d’avant la nouvelle vague et ses tournages dans la rue. Thomas le héros est une version miniature de John McClane (Bruce Willis) dans Piège de Cristal de John McTiernan (l’étrange Nomads et le cultissime Predator). L’horreur fondamentale de 36.15 code Père Noël réside dans le fait que Thomas n’est pas un adulte, il n’est pas un policer ou un militaire hollywoodien qui sait se servir d’une arme à feu parce qu’on est aux Etats-Unis et que 99,99% des héros d’Hollywood sont armés et hyper compétents quand le temps est venu d’exterminer la vermine (terroristes, criminels…). Thomas n’est qu’un môme et Manzor ne fait pas l’impasse sur cette donnée. Thomas appelle sa maman quand il est au plus mal parce que même s’il est un génie plutôt dégourdi il demeure un petit garçon poursuivi par un fou.
Le long métrage embrasse ce point de vue à hauteur de petit garçon. Tout semble grand, disproportionné. Les meubles, les cages d’escalier, la maison même tout semble trop grand. Entre perspective forcée, décors à l’échèle d’un enfant de 8 à 10 ans tout est fait pour donner au spectateur cet impression d’évoluer dans un monde trop grand. Le château dans lequel vit Thomas semble immense. René Manzor pour renforcer son effet à même tourner de nombreux plans avec la caméra à ras du sol. Un calvaire pour les opérateurs, car même les steady cams, ces caméra avec des contre-poids qui permettent de faire des travelings d’une grande fluidité avec une caméra portée et qui fut utilisé par Kubrick dans Shining pour les scènes où Dany fait du tricycle dans l’hôtel, même les steady cams donc n’étaient pas conçues pour être utilisées si près du sol.
Outre leur taille outrée les décors participent de l’étrangeté onirique de 36.15 code Père Noël. Thomas vit dans le château de son défunt père, une maison familiale dans laquelle des générations de garçons se sont aménagés une pièce secrète dans laquelle ils stockent les jeux et jouets de leur enfance. Les vues extérieures sont celles d’un château renaissance qui existent pour de vrai ainsi que de sa maquette au trentième pour les plans nocturnes et une vue aérienne. Les intérieurs ont été tournés dans un studio improvisé, d’anciens entrepôts qui depuis sont devenus d’authentiques studios de cinéma. L’intérieur de la très grande maison de Thomas est un rêve de petit garçon avec des portes dérobées (dans une armoire, un frigidaire), des pièces secrètes et des gadgets technologiques, Thomas à bricoler une installation domotique avant que le mot n’existe. Ce décors qui flirte avec le gothique (ces armures de chevaliers qui ornent le vestibule) est pour beaucoup dans l’atmosphère de conte de 36.15 code Père Noël.
René Manzor n’a pas seulement fait tourner son fils, il a aussi été produit par son frère Francis Lalanne (oui oui le chanteur qui s'est aussi occupé des paroles de la chanson du générique de fin chantée par Bonnie Tyler l'anglaise à la voix éraillée). Francis avait déjà produit Le Passage, le premier film de René en association avec Alain Delon qui jouait également dans le long métrange. Quant à la bande originale de 36.15 code Père Noël, elle est signée Jean‑Félix Lalanne, le petit dernier de la fratrie.
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36.15 code Père Noël est un film qui transcende son budget réduit grâce au sens visuel de son réalisateur qui tourne une série de séquences visuellement travaillées (le suspens du petit train piégé, la transformation de Patrick Floersheim en Père Noël psychopathe…) qui s’incrustent dans votre cerveau et y font leur nid. 36.15 code Père Noël n’eut le droit en France qu’à une sortie technique dans les cinémas hexagonaux mais se vendit bien à l’étranger ce qui amènera René Manzor à partir outre-Atlantique et nous laisse devant cette question sans réponse, pourquoi personne n’a voulu donner sa chance à ce petit bijou ? Nul n’est prophète en son pays dit-on, mais parfois il est bon de faire mentir un vieil adage.
R.V.