It Follows
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La menace fantôme
L’adolescence, la découverte du sexe, Détroit abandonné et l’ennuie ne sont pas les plus grosses menaces qui planent sur Jay
Réalisation : David Robert Mitchell
Scénario : David Robert Mitchell Distribution :
Année : 2014 Synopsis : Après un premier rapport sexuel avec son nouveau petit ami, Hugh, Jay se retrouve poursuivit par quelque chose qui veut la tuer. Face à cette malédiction elle ne peut compter que sur sa sœur et ses amis pour survivre.
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Pas de faux suspens ici It Follows est une réussite qui a même eu le droit en 2015 à une sortie en salle ce qui est étonnant tant le film détonne au milieu de la production actuel.
Sorti dans les salles françaises à l’hiver 2015, It Follows échappa à l’enfer du direct to DVD et de la V.O.D. et c’est un petit miracle tant le film de David Robert Mitchell fait figure d’OVNI au milieu des Conjuring et autres Paranormal Activity. Le réalisateur ne tourne pas un film avec une figure monstrueuse qui ne peut s’empêcher de vous hurler à la face qu’elle est mauvaise. Qu’on ne se trompe pas, les méchants de Conjuring et des films qui lui sont associés sont impressionnants et bien foutus (merci la CGI), le film de Mitchell fait le pari opposé, en en montrant le moins possible, nous y reviendrons. It Follows n’est pas non plus un film smart phones/caméras de surveillance dont on ne sait s’il s’agit d’un authentique parti pris de réalisation ou d’une béquille pour palier les limites d’un réalisateur sans talent ou, au mieux, sans vision personnelle. Mitchell est réalisateur qui a une vision et ce film est une œuvre personnelle et pas seulement parce que cette présence malveillante est la réminiscence d’un cauchemar d’enfant.
Ce film est beau et organique. La caméra s’attarde sur des détails comme cet insecte qui déambule sur le bras de Jay, l’héroïne incarnée par Maïka Monroe, alors qu’elle se baigne dans sa piscine de jardin. Mitchell prend le temps de s’attarder sur les visages de ses acteurs, ces personnages d’adolescents qui s’ennuient dans leurs petites vies tranquilles de banlieusards.
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Ces banlieues pavillonnaires déjà mille fois filmés mais qui là prennent un caractère particulier car le film a été tourné à Détroit, une ville sinistrée qui a vu sa population fondre offrant aux cinéastes les décors au combien étranges d’une ville fantôme. Détroit est plus qu’un décor, la ville et sa décrépitude contamine les personnages. Il y a comme une évidence, on en vient à se dire que ce film ne pouvait que se passer dans cette ville. Bien sûr il y a du John Carpenter dans cette façon de filmer les pavillons de la classe moyenne blanche mais le film se passe 35 ans après Halloween la nuit des masque aussi It Follows est-il un film plus terne. Les rayons du soleil éclair à peine la vie des jeunes protagonistes. On a l’impression d’être dans un printemps morne, ni froid ni chaud, tiède.
Venons-en, je vous prie, à ce « It », ce « ça » ou même ce « on » qui poursuit avec entêtement la jeune Jay. Les spectateurs en quête de mystères vite levés car ils sont aussi factices que purement instrumentales seront sans doute frustrés qu’il n’y ait personne pour leur dire tout ce qu’il y a à savoir sur la chose qui traque Jay et ses amis. Ce que l’on sait est ténu mais suffisant : cette chose est maléfique, malfaisante et bornée, obsessionnelle même. Certes elle n’a pas de nom, pas vraiment de corps et reste invisible à ceux qui n’ont pas été touchés par la malédiction mais un mystère expliqué n’en est plus un. Résistant au confort explicatif David Robert Mitchell créé une créature tueuse d’autant plus effrayante qu’elle n’a pas de visage et qu’elle peut prendre l’apparence de n’importe qui, même de la mère de l’un des personnages.
It Follows pourrait très bien être un slasher post post moderne. Là où Scream et la vague de slashers qui l’a suivi (Souvient-toi l’été dernier, Urban Legend…)étaient des films qui s’enfonçait plus ou moins dans le second degré, le jeu des références et des outrances teintées d’ironie, It Follows lui impose son premier degré et une violence sèche qui n’empêche pas quelques cadavres savoureux mais on sent que la mise à mort n’est pas une fin en soi et que Mitchell veut raconter autre chose que la banale histoire d’une bande de jeunes agités par leurs hormones qui se font massacrer par quelque personnage maléfique.
Avec cette histoire de malédiction sexuellement transmissible on pourrait s’attendre à un film puritain collant au précepte énoncé dans Scream, que pour survivre il ne faut pas coucher. It follows se laisse aller à inférer le contraire, coucher c’est aussi éloigné la mort. Au final la métaphore des MST est sans doute une lecture paresseuse. Si ça a un rapport avec le sexe ce n’est sans doute pas la seule grille de lecture, peut-être que cette force qui guette Jay c’est tout simplement la Mort elle-même car être adulte ce n’est pas seulement savoir que l’on va mourir mais le ressentir en soi. A vous de vous faire votre idée, les joies de l’interprétation sont toutes à vous.
It Follows est définitivement l’un des joyaux du cinéma d’épouvante des années 2010. Bijou d’angoisses adolescentes et de spleen idéal comme le dirait le poète, ce film ne joue pas la carte du jump scare aguicheur et facile. La peur distillé dans la péloche de David Robert Mitchell est existentielle et viscérale à la fois. Le réalisateur en rendant hommage avec la scène dans la piscine à une autre scène de piscine, celle dans La Féline de Jacques Tourneur sommet de frousse filmé pour la R.K.O. (King Kong) témoigne qu’il n’est pas nécessaire d’agiter un monstre devant les yeux du spectateur pour que ceux-ci est peur. Les deux films par-delà les décennies et leurs différences nous rappellent que par fois en matière de frayeur on fait plus d’effet avec moins.
R.V.