We Are
Still Here
Des vivants & des morts
Quand les monstres ne sont pas ceux que l’on croit il y a de la place pour quelques retournements de situation et un film qui apporte un peu de neuf dans le film de maison hantée.
Réalisateur : Ted Geoghegan
Scénario : Ted Geoghegan Distribution :
Année : 2015 Synopsis : Anne et Paul Sacchietti ont quitté la ville et leur ancien domicile pour se faire une nouvelle vie à la campagne. En deuil ils cherchent aussi à échapper au souvenir de leur fils mort dans un accident de la route. Mais ce qu’ils trouveront dans le petit village d’Aylesbury, ce n’est pas la paix qu’il recherche mais des esprits peu accueillant et des êtres humains à peine moins inquiétants. |
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Forcément quand un film d’horreur se passe en Nouvelle-Angleterre il est difficile de ne pas songer à H.P. Lovecraft ou à Stephen King et il est vrai que l’ombre des deux écrivains planent sur cette histoire qui tort à bon escient les canons d’un genre, le film de maison hantée, par ailleurs bien balisé. We Are Still Here (2015) est le premier long métrage réalisé par Todd Geoghegan, qui en a aussi écrit le scénario. Il a depuis réalisé Mohawk (2017) qui n’a pas l’air mal. Avec ses prémisses plutôt convenus, un couple, les Sacchetti, qui a besoin de se réinventer après une tragédie, la mort dans un accident de leur fils unique, déménage dans une maison qui n’est pas ce qu’elle semble être de prime abord, We Are Still Here ne se démarquent pas tout de suite du genre. Le film accumule même les clichés avec un cadre de photos qui tombe sans raison apparente, une balle de baseball qui roule toute seule, des objets qui ne sont pas à leur place et une chaudière qui ne fonctionne pas bien. L’amateur de cinéma d’horreur chausse ses chaussons et ronronnent de plaisir devant ce qu’il croit reconnaître. L’originalité du film de Geoghegan est que cette maison hantée typique n’est en fait pas comme les autres.
We Are Still Here est assez respectueux du genre pour lui infliger ce qu’il faut de distorsions pour sortir de l’archétypal récit de maison hantée. Un jeu avec les conventions sur la forme comme sur le fond. We Are Still Here n’est pas un démarquage de Conjuring/Annabelle et tout le reste. Formellement les esprits qui hantent la maison ne ressemblent pas à l’image qu’on se fait des fantômes. Ici, pour une raison effroyable dévoilée en cours d’intrigue, les fantômes de la maison sont chauds, incandescents, brulants. Mais la subversion la plus profonde du genre provient du fond, d’une histoire qui nous emmène dans des terres étranges et effrayantes qui rappellent les écrits de Lovecraft. Aylesbury est une de ces localités chaires à l’auteur de Providence qui sont comme retirées du monde. Aylebury est une petite ville isolée et sa population, peu habituée aux nouvelles têtes, est au mieux peu accueillante au pire assez hostile et très vite il est évident qu’il n’y a pas que la maison qui est bizarre et menaçante. L’isolement des Sachetti n’est pas que géographique avec leur maison perdue en pleine cambrousse. Les décors extérieures hivernaux, cette plaine enneigée, sont à la fois beau et inquiétant, on se sent petit dans ce paysage.
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Pour incarner ce couple en deuil mais qui s’aime, Geoghegan s’est entouré d’acteurs confirmés avec Andrew Sensenig, dans le rôle de Paul Sacchetti, et Barbara Crampton (Re-Animator, From Beyond…) dans celui d’Anne Sacchetti. Crampton est parfaite dans ce rôle de mère éplorée qui ne se remet pas de la mort de son fils, c’est pour elle que le couple déménage, quitte la ville pour ce qui aurait dû être la quiétude de la campagne. Comme souvent dans le fantastique et singulièrement le film de maison hantée, les personnages trimballent dans leurs cartons de déménagement un lourd passif psychologique, parfois caché parfois, comme ici, explicite. We Are Still Here est une histoire de deuil et de la difficulté de vivre avec le souvenir de nos morts.
Pour compléter la distribution on remarque la présence de Larry Fessenden (The Ranger), un acteur, producteur, réalisateur qui est l’une des chevilles ouvrières de l’horreur indé aux pays de l’oncle Sam, et celle de Lisa Marie, une ex actrice fétiche de Burton, la Vampira d’Ed Wood, la Martienne accorte et assassine de Mars Attacks !… c’est elle. Lisa Marie apparait aussi dans The Lords of Salem de Rob Zombie, film qui compte aussi dans sa distribution qui fait la part belle aux icones féminines de l’horreur des années 70, un peu, et 80, surtout, Barbara Crampton, les fans d’horreurs devenus réalisateurs ont en commun quelques marottes. Ils sont les inévitables experts en paranormal qu’on retrouve, avec des sorts et des résultats variables, dans tous bon film avec des esprits qu’il s’agisse de maison hantée ou de possession d’une personne. Ici, May et Jacob Lewis ne sont pas d’un grand secours précisément parce que ce qu’il y a dans la maison n’est pas le premier poltergeist venu.
Si We Are Still Here sacrifie bien mais avec parcimonie, époque oblige, au dieu jump scare, il a le bon goût de ne pas tout miser sur ce qui relève plus du réflexe que de la vraie frayeur ou de l’épouvante. Avec son petit nombre de personnage Todd Geoghegan ne s’éloigne jamais du couple formé par les Sacchetti, ses personnages principaux. Le film ne s’embarrasse pas de sous-intrigue. C’est pour les Sacchetti que nous avons peur d’un bout à l’autre. En outre pour ceux qui aiment quand le mystère est mystérieux, oui c’est une redondance, mais à une époque où il faut tout révéler aux publics, ou la moindre histoire de fantôme doit appartenir à un univers étendu qui relie entre elles des histoires qui n’ont pas besoin de l’être il est bon de voir un film taiseux. Nommer la force malfaisante à l’œuvre dans la maison, lui donner une histoire, des motivations, etc. c’est tué le mystère dont la peur se nourrit. La plus grande peur réside dans l’inconnu pas dans la révélation de quelque monstruosité tapie dans l’ombre. Sur ce plan We Are Still Here parce qu’il reste au plus près des Sacchetti, des gens normaux qui ne sont pas versés dans l’occulte et qui jusque-là n’avaient pas de raison de s’intéresser au surnaturel est une réussite. Geoghegan soigne ses ambiances et parvient à nous faire ressentir par l’image les états d’âme de ses protagonistes principaux.
Nous avons déjà écrit ailleurs sur ce cite le peu d’amour que nous éprouvons pour The Conjuring, nous n’en remettrons pas une couche ici, mais on affirmera calmement que si le monde était juste ce ne serait pas le film de James Wan qui serait populaire et We Are Still Here livré aux limbes de l’indifférence générale des masses.
R.V.