Le
Masque
de la
mort rouge
Vengenace circassienne
Dans une explosion de couleurs Roger Corman livre avec Le Masque de la mort rouge un classique du fantastique des années 60 et l’une des meilleures adaptations d’Edgar Allan Poe au cinéma
Titre originale : The Masque of the Red Death
Réalisation : Roger Corman Scénario : Charles Beaumont & R. Wright Campbell d'après Edgar Allan Poe (les nouvelles "Le Masque de la mort rouge" et "Hop-Frog" in Les Nouvelles histoires extraordinaire) Distribution :
Année : 1964 |
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Synopsis : Alors qu’une terrible épidémie, la mort rouge, frappe la campagne environnante, le prince Prospero convie dans son château dames et seigneurs, et une paysanne, Francesca, qu’il a rencontré dans un village voisin, qu’il retient captive avec le père et le fiancé de la belle. Là, à l’abris de la maladie, Prospero et ses invités se vautrent dans la débauche se croyant en sécurité.
Roger Corman est une figure du cinéma U.S. qui oscille entre la série B, dans ses meilleurs moments, et la série Z le reste du temps. Son apport au cinéma d’exploitation et aux films de genre depuis les années 50 est considérable. Souvent producteur (voir les chroniques de La Galaxie de la terreur et de Piranhas), acteur, parfois, notamment dans les films d’anciens collaborateurs devenus grands (Le Silence des agneaux de Jonathan Demme), et aussi réalisateur comme pour Le Masque de la mort rouge qui appartient au cycle de films adaptant l’œuvre d’Edgar Allan Poe. Une série qui comprend également La Tombe de Ligeia (nouvelle et film délicieusement nécrophile, une déviance chère au fantastique du XIXe siècle), La Chute de la maison Usher, La Chambre des tortures (la nouvelle « Le Puit et le pendule » in Les Nouvelles histoires extraordinaires), L’enterré vivant et quelques autres. De cette liste non-exhaustive Le Masque de la mort rouge a acquis la réputation qui n’est pas imméritée d’être le meilleur à peu près à égalité avec La Tombe de Ligeia. Pour faire simple, ce Corman est un petit chef-d’œuvre du fantastique et de l’horreur des années 60 qui n’a pas à rougir de la comparaison avec ce que la Hammer pouvait tourner à la même époque.
Car on peut parier que c’est bien le studio anglais que l’Américain avait dans son collimateur car la Hammer marchait très bien en ce début d’année 60 sur le marché états-unien. La recette anglaise à la fois sexy et violente mais juste en dessous de l’inacceptable pour la censure faisait que ces films étaient alors parmi ce qui se faisait de plus excitant dans le monde de l’horreur. La Hammer avait redonné leur jeunesse aux films de monstres et Dracula avait retrouvé tout son mordant. Le cycle Allan Poe permettait à Corman d’offrir au public des films gothiques qui entraient plus intimement en échos avec la culture d’Outre-Atlantique. Le pari s’est avéré gagnant et amena même Corman, comme pour Le Masque de la mort rouge, à tourner en Angleterre grâce au soutien du gouvernement britannique. Un tournage dans des conditions plus favorables que celles auxquelles Roger Corman était d’ordinaire habitué et évidemment ça se voit à l’image. Mais avant d’en revenir à Corman un détours par le directeur de la photographie qui n’est autre que Nicolas Roeg (Ne te retourne pas) qui fait ici un travail de coloriste qui avec le Six femmes pour l’assassin de Mario Bava n’a pas dû laisser indifférent Dario Argento au moment de tourner Suspiria. L’une des conditions pour faciliter le tournage de Corman au Royaume-Uni était qu’il recrute des techniciens insulaires et le résultat continue à faire le charme du film qui ne se contente pas d’imiter les films de La Hammer.
Le scénario du film, que les petits ayatollahs du web à longueur de vidéos YouTube jugeraient à n’en pas douter avec la plus grande sévérité pointant ses plot holes et autres crimes contre l’orthodoxie narrative, compte à la fin moins que l’ambiance folle, mauvaise et décadente qui émane de cette œuvre courte, 1h25 de bobines. Il y a un petit air sadien dans ce personnage de Prospero, prince italien dans un Moyen-âge qui coche toutes les cases de sa propre légende noire. Prospero (Vincent Price, qui alors tournait beaucoup avec Corman) est un aristocrate cruel qui s’est détourné de Dieu et vie dans un château en compagnie de Juliana (Hazel Court) dont on ne sait s’il s’agit de sa sœur ou de son amante (les deux à la fois ?). Prospero est un prodige de malveillance, un monstre hautain et décadent. A ce duo infernal s’ajoute la figure de la pureté et de l’innocence qui, là s’arrête le parallèle avec les œuvres du ci-devant marquis Donatien de Sade, sera plutôt ménagée par Prospero - qui est très loin de Ramsay Bolton le violeur et châtreur de Game of Thrones. Cette blanche colombe, Francesca, est incarnée par Jane Asher, une jeune première d’à peine 18 ans. Elle était la petite amie d’un Paul McCartney déjà dans les Beatles mais pas encore célèbre. Jane Asher plus jeune que Hazel Court et de beaucoup la cadette de Vincent Price est le contre-point parfait aux incarnations du mal, on parle d’adorateurs de Satan, que sont Prospero et Juliana. Il y a tant de sous-entendu dans ce trio. Le dénouement change la perspective du film dévoilant que Prospero était moins malin qu’il ne le pensait et qu’il y a pire que Satan pour les pauvres mortels.
L’ambiance passe certes par le jeu des acteurs mais surtout par une réalisation, une mise en image qui palie les faiblesses du scénario. Ce long métrage Corman y tient, c’est un film qu’il veut vraiment faire. Le Masque de la mort rouge est une orgie de couleurs. L’usage qui en est fait est à la fois évocateur et pas toujours convenu. Le rouge prohibé par Prospero, car c’est ici plus que le noir, la couleur de la mort qui rôde autour du château, est une illustration de cet usage de la couleur qui frappe l’imagination. Et puis il y a ces pièces colorées, la chambre jaune dont on apprend qu’elle servit à rendre un homme fou lequel une fois libéré ne pouvait plus voir le soleil ou la noire, la pièce interdite celle dédiée au culte de Satan.
Le Masque de la mort rouge se paie même le luxe d’annoncer avec un peu d’avance le psychédélisme qui façonnerait la fin de la décennie lors de la scène hallucinée au cours de laquelle une Juliana à la fois consentante et apeurée est symboliquement sacrifiée à son maître pour devenir une compagne de Satan. Là encore l’image est très colorée (vert, bleu, les deux à la fois) mais aussi distordue et comme mise en boucle. Roger Corman à tourner un long métrage qui vieillit très bien, se couvre d’une jolie patine et garde encore aujourd’hui un charme vénéneux.
Il y a un parfum de fantasy qui émane de ce Masque de la mort rouge. Ici le réalisme importe moins que le voyage dans une terre où la maladie s’incarne dans une figure encapuchonnées drapée de rouge. Ce n’est pas le Moyen-âge historique qui est la toile de fond à cette histoire mais un Moyen-âge de conte de fée et Le Masque de la mort rouge est même un petit conte philosophique dans lequel Prospero parle philosophie avec ses invités. Le Bien et le Mal, leur nature voilà ce dont s’entretient Prospero avec la jeune Francesca ou Alfredo (Patrick Magee, l’écrivain vengeur d’Orange mécanique).
Avant de vous quitter un mot sur la musique signée par David Lee qui fait la part belle au tambourin, à une valse pour la scène du bal, une plaisante musique de court pour une petite danseuse (le malaise naît de ce genre de scène) et à des compositions plus clairement marquées par les nécessités d’un film d’horreur avec percussions qui évoquent les os de squelette qui s’entrechoquent dans une danse macabre. Cette B.O. s’ajoute à la photographie, à la réalisation et au jeu des acteurs pour donner ce chef-d’œuvre de l’horreur fantastique qui ravira les amateurs de fantastique des années 60 et les autres aussi.
R.V.