Les frissons
de l'angoisse
Rouge profond
C’est un peu à contre-cœur que Dario Argento revient au Giallo ce qui ne l’empêche pas de réaliser l’un des sommets de sa filmographie
Titre original : Profondo Rosso
Réalisateur : Dario Argento Scénario : Dario Argento & Bernardino Zapponi Distribution :
Pays : Italie Synopsis : Le pianiste de jazz Marcus Daly rentre chez lui après avoir répété avec son groupe quand il est témoin de l’assassinat de sa voisine, la médium Helga Ulmann. Dès lors le souvenir d’une image fugitive vue dans l’appartement de la victime le hantera et le poussera à mener une enquête dangereuse pour démasquer l’assassin. Il sera aidé dans sa quête par une jeune journaliste, Gianna Brezzi. |
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Lorsque Dario Argento tourne Cinq jours de révolution, durant l’été 1973, le réalisateur pense en avoir fini avec le Giallo, ce Thriller à l’italienne que plus que tout autre il incarne. Sa nouvelle réalisation est un film historique qui se passe en 1848, pendant ce qu’on a appelé le printemps des peuples dans une Italie qui cherche l’unification. Argento croyait avoir fait le tour du Giallo avec sa trilogie animalière (L’Oiseau au plumage de cristal, Le chat à neuf queues et 4 mouches de velours gris) mais l’Homme fait des plans et Dieu rit, Cinq jours de révolution est un échec d’autant plus cuisant que jusque-là la carrière de Dario Argento était allée de réussites en réussites artistiquement et financièrement. On ne saura jamais ce que serait devenu Dario Argento comme réalisateur sans cet échec, on peut spéculer qu’il ne serait pas devenu le Maître de l’horreur transalpine, qu’il serait peut-être devenu un réalisateur bien comme il faut plébiscité par le festival de Cannes et la critique sérieuse.
Profondo rosso, dans son titre italien, sortit en salle en 1975 à un moment où le Giallo était déjà moribond. Le genre se vautrait dans des films racoleurs (Nues pour l’assassin avec la très sensuelle Edwige Fenech) et connaissait des formes hybrides comme avec La lame infernale qui voyait le Thriller horrifique rencontrer le Poliziottesco, un genre à la mode qui capitalisait sur le succès de L'inspecteur Harry. Ses ficelles sont un peu usées et pourtant dans son testament au genre Dario Argento trouve le moyen de se surpasser et évite l’écueil de la régression dans une forme maîtrisée et confortable.
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L’histoire est connue, le réalisateur revisite ici le Blow up de Michelangelo Antonini. Un film séminal qui influença toute une génération de réalisateurs des deux côtés de l’Atlantique comme Francis Ford Coppola qui signa Conversation secrète, aussi sortit et 1975, et Brian de Palma (Dracula) qui tourna un peu plus tard les très explicitement référentiel Blow Out. L’Italien recrute David Hemmings, qui joue le personnage principal du film d’Antonioni, pour interpréter Marcus Daly un pianiste de jazz américain pour plus clairement encore souligner la parenté cinématographique. Par ailleurs Dario Argento profite de ce long métrage pour se pencher sur sa trilogie animalière, son héros est un musicien, comme celui de 4 mouches de velours gris et l’assassin est d’avantage motivé par la démence que dans les gialli d’un Sergio Martino (L’Etrange vice de Madame Wardh ou La Queue du scorpion), qui mettait en scène des assassins aux motivations autrement plus vénales.
Plus qu’un simple exercice de style qui se plonge dans les précédents films du réalisateur ou une œuvre clin-d’œil à un film qui l’a marqué Les frissons de l’angoisse est un film qui pose les bases du cinéma et du style du réalisateur pour le reste des années 70. Le film renforce l’aspect ésotérique du cinéma d’Argento et accentue encore le glissement fantastique qui sera consommé dans le prochain, Suspiria. Il s’affirme ici comme un cinéaste du cauchemar éveillé. Les décors du film convoque la peinture surréaliste du peintre de Chirico mais aussi, et de façon plus étonnante, d’Edward Hopper avec un bar de nuit qui évoque celui des Oiseaux de nuit (Nighthawks), l’une de ses œuvres les plus connues. Ces décorent affranchissent le long métrage du réalisme. Les figurants statiques et raides accroissent encore cette sensation d’irréalisme, cette étrangeté qui nimbe le film d’un curieux halo.
Grand amoureux du cinéma Argento joue avec le lien entre l’image et le son comme lors de cette scène d’angoisse où Marcus Daly/David Hemmings compose au piano. Puis il se rend compte qu’il n’est pas seul dans son appartement, un détail qui lui avait échappé nous avait indiqué la présence d’un rôdeur un peu plus tôt. Le personnage comprend que s’il arrête de jouer l’intrus comprendra qu’il a été repéré donc Marcus Daly continue de jouer. Mais la musique n’est plus la même c’est la bande originale d’une scène de peur. Le personnage de cinéma joue la B.O. de sa propre vie fictive.
Si Hemmings est déjà un acteur confirmé (La Charge de la brigade légère, Barbarella…), Daria Nicolodi, sa partenaire, est une vraie révélation. C’est une relativement jeune actrice dont la carrière à l’écran a commencé en 1970 avec un second rôle dans le film Les Hommes contre qui racontent la mutinerie de soldat italien pendant la première guerre mondiale. Elle incarne Gianna Brezzi, une journaliste qui voit dans le meurtre dont a été témoins Marcus Daly une histoire qui lui permettra de se faire un nom. Gianna est un personnage féminin moderne qui n’existe pas seulement pour faire briller son vis-à-vis masculin ou être la juste récompense à ses efforts. La scène comique du bras de fer en est la parfaite illustration. Elle offre par ailleurs un contrepoint au côté artiste tourmenté que cultive le personnage de David Hemmings qui aime à se présenter comme un être sensible jusqu’au moment où cela remet en cause sa supériorité masculine. Le film évoque de façon humoristique la guerre des sexes sans pour autant prendre un parti conservateur car Argento soutient la lutte féministe.
Dans ce registre du trouble des genres entre masculin et féminin, et longtemps avant que cela ne devienne une question aussi prégnante qu’aujourd’hui, il y a la survenue dans un rôle très secondaire mais marquant porté par la figure longiligne et androgyne de l’actrice Geraldine Hooper du personnage de Massimo Ricci. Un personnage esquissé, entre-aperçu mais fascinant et somme toute émouvant dans son amour qu’on entrevoit malheureux pour Carlo (Gabriele Lavia) le pianiste prolétaire et alcoolique.
Les frissons de l’angoisse c’est aussi la première collaboration entre Argento et le groupe Goblin qui fera des merveilles pour Suspiria. Le réalisateur était un homme de son temps, un fan de rock et même de prog rock qui souhaitait sortir des sentiers battus de la bande originale italienne même quand elle était façonnée par le très grand Ennio Morricone – le compositeur des musiques de ses Gialli animaliers. Là encore le réalisateur pause les fondations sur lesquelles il bâtira sa filmographie pour le reste de la décennie.
Certes l’expression est toute faite et un rien galvaudé mais avec Les frissons de l’angoisse Dario Argento a enregistré sur la pellicule une œuvre charnière, véritable transition entre ses œuvres du début des années 70 et celles qui concluront la décennie. Mais ce n’est pas ça qui fait de ce long-métrage un quasi chef-d’œuvre, non ce qui fait la vraie valeur du film c’est la façon dont Argento joue avec les codes du cinéma, sa grammaire et sa syntaxe, pour manipuler le spectateur. Car oui comme son protagoniste le spectateur à l’essentiel des informations pour résoudre l’énigme au début du film et pourtant… La plus grande illusion dans Les frisson de l’angoisse ce n’est pas le cinéma mais la façon dont nos sens peuvent nous piéger, les yeux ont vu mais notre cerveau regardait ailleurs. Le film est une quête initiatique pour Marcus Daly/David Hemmings qui doit affronter des épreuves plus ou moins périlleuses pour retrouver cette image manquante et voir au-delà des apparences.
R.V.
Jean-Baptiste Thoret, grand connaisseur du cinéma de Dario Argento (on peut parler d'expert à ce niveau) parle de Profondo Rosso et c'est bien plus intéressant que ce que vous venez de lire.
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