Martyrs
Martyrologie clinique
Martyrs n’est pas un film d’horreur comme les autres, son effroi est insidieux, et il s’écarte souvent des attentes du public
Réalisation : Pascal Laugier
Scénario : Pascal Laugier Distribution :
Année : 2008 |
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Synopsis : Lucie retrouve par hasard les gens qui seize ans plus tôt l’ont kidnappée et torturée. Sa vengeance sera rapide et sans pitié mais pour elle et son amie Anna le pire reste encore à venir. Il arrive que la vie soit pire que la mort.
« Le cinéma c’est l’art de faire faire de jolies choses à de jolies femmes. » a dit François Truffaut et bien Martyrs ce n’est pas du tout ça. Certes Mylène Jampanoï (Lucie) et Morjana Alaoui (Anna) ne sont pas vilaines mais Pascal Laugier, le réalisateur, ne leur fait pas faire de jolies choses, c’est même plutôt le contraire. Entre vengeance sans merci, torture mentale autant que physique, psychologies vacillantes, pour ne pas dire pure démence, rien n’est épargné aux deux héroïnes et c’est là sans doute que le film divise le plus.
Le plus gros défaut de Martyrs est son aspect décousu, le film avance par à coup en multipliant les coups de théâtres parfois un peu forcés, ce qui a de quoi rebuter celles et ceux qui ne se sont pas laissés embarquer. Laugier change même d’héroïne, de personnage principale, dans le courant de son film risquant de faire perdre l’empathie précédemment acquise. Pire le réalisateur change d’enjeu en cours de route. On commence avec une adolescente ou une post-adolescente traquée par une force obscure puis on bascule dans le film de vengeance impitoyable à la Thriller avant de prendre une toute autre direction. Le pari est risqué et tout le monde n’a pas envie de le prendre d’autant que le long métrage perd en cohérence.
Martyr c’est un monstre de Frankenstein réalisé à partir de bouts de sous-genre du film d’épouvante. Il y a d’abord ce récit diachronique entre le début des années 70 et le milieu des années 80. C’est la partie de Lucie, ses souffrances, son calvaire et sa santé mentale compromise par ce qu’elle a subi aux mains de ses tortionnaire. Cette partie ressemble à la suite d’un film que l’on a pas vu mais qui nous est dévoilé par flashback. Ce segment culmine par la vengeance de la victime, mais cette vengeance n’apporte pas la satisfaction, même en demi-teinte, même aigre-douce, qu’on attend de ce genre de déploiement de violence au cinéma. La seconde partie c’est celle d’Anna, l’amie de Lucie. Anna connaît une trajectoire sur laquelle nous ne nous étendrons pas car elle est au cœur du mystère ultime du film et de ce qu’il faut bien appeler sa quête philosophique.
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De sa structure atypique Martyrs tire à boulet rouge sur les conventions de certains genres de l’épouvante qui par ailleurs ont nourri Pascal Laugier, ce n’est pas anodin si l’action se déroule entre les années 70 et 80. L’enjeu de l’horreur dans le slasher, le giallo, le gore… tourne autour de la mise à mort, plus c’est sanglant, brutale et violent mieux c’est, pas dans Martyrs. Dans le slasher et son devancier, le giallo, la mise à mort par pénétration d’une lame (symbole phallique) est une métaphore sexuelle parce que nous sommes dans des sociétés qui ont moins de réticences à filmer le meurtre que le coït. Dans Martyrs, la mort n’est que rarement une fin en soit et quand elle arrive elle est souvent vite expédier. Martyrs parle de cruauté, d’une cruauté raffinée. Il y a dans ce film quelque chose d’incompréhensible dans ces gens qui martyrisent des jeunes femmes. Même si la torture est importante dans le long métrage nous ne sommes pas pour autant dans le torture porn. Les sévices sont administrés froidement, avec rigueur et méthode, il n’y a pas d’effusion de sang, pas de scènes chocs ce qui auraient pu tourner à la kermesse gore. Le film est toujours un ton en dessous jusqu’aux dernières minutes et une opération finale quand Anna est enfin prête.
Pascal Laugier réalise un film choc qui déjoue les attentes du public de films d’horreur en subvertissant les codes pour lui proposer autre chose, une expérience jamais vu ailleurs. Il y a des raisons de ne pas aimer Martyrs, et lorsqu’on a aimé ce film on n’est pas très sûr d’être prêt à le revoir de sitôt. Avec Martyrs on ne passe pas un bon moment et c’est aussi quelque chose de précieux que de voir des films d’horreur qui sont autre chose que de pures divertissements.
R.V.