Six femmes
pour l'assassin
Luxe, calme et volupté
et meurtres
Six femmes pour l’assassin de Mario Bava est la matrice du Giallo en général et du cinéma de Dario Argento en particulier
Titre original : Sei donne per l'assassino
Réalisateur : Mario Bava Scénario : Marcello Fondato, Giuseppe Barilla, Mario Bava Distribution :
Pays : Italie Synopsis : Un mystérieux assassin extermine les mannequins d’une maison de haute couture romaine. L’enquête de la police s’enlise alors que toutes les personnes impliquées font tout pour préserver leurs secrets plus ou moins inavouables. Pendant ce temps les morts s’empilent.
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Mario Bava est un grand réalisateur tout court et pas juste un grand réalisateur de films de genre, ce qu’il fut aussi. Fils d’un chef opérateur il suivit la voie paternelle. Mario Bava est un homme de l’image, un directeur de la photographie qui pense ses films en terme visuel avant toutes choses. L’intrigue peut passer après. C’est aussi un formaliste ce qui a pu valoir à son cinéma des critiques en superficialité, Bava n’a pas de grand discours sur le monde à administrer aux spectateurs, de point de vue sociologique à défendre sur la société italienne du début des années 60. Six femmes pour l’assassin ne défend aucune vision politique mais est l’œuvre d’un artisan, d’un technicien du cinéma populaire soucieux de faire du beau travail et qui y parvient en transformant un film à petit budget tourné très rapidement en festin pour les yeux.
Car Six femmes pour l’assassin est beau. Dès la séquence générique même le spectateur distrait ou la spectatrice inattentive sait, ne fut-ce que confusément, là dans ses tripes, que ces images qui défilent devant ses yeux sont bien au-delà de ce que l’on attend d’un vulgaire film fauché, d’une de ces productions tournées à la va-vite dans un but purement mercantile. Bava a un sens du visuel qui lui permet de faire ce qui est interdit à tout autre que lui, comme ce générique que temps d’autres réalisateurs aurait salopé.
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C’est que sur le papier il n’y a rien de plus tarte, de plus ringard, de plus à la ramasse qu’un générique qui fait défiler la distribution devant la caméra avec le nom des acteurs. C’est tellement moisi que même les séries télés ne le font plus depuis une quinzaine d’année. Vraiment sur le papier il ne devrait rien y avoir de pire que ce générique mais monsieur Bava n’est pas le premier tâcheron venu et le générique est sublime. Un fond noir et ces couleurs, éclairages et filtres de caméra, qui font la patte du film, mais aussi du réalisateur, pour des images qui rendent vivant l’inanimé et donnent une patine de mort à ce qui devrait être vivant. Car les acteurs sont statiques, figés. C’est élégant et morbide. Il y a un hiatus entre cette morbidité des images et l’allégresse du mambo de la bande originale. Comme si avant même le début du long métrage ces protagonistes, ceux que l’on verra se faire assassiner durant les quatre-vingts minutes qui viennent étaient déjà morts. Où bien ne sont-ils que des êtres sans-vie, des dispositifs qui ne prennent vie que le temps que dure le film ?
Six femmes pour l’assassin est un très beau film, oui vraiment, qui concilie un aspect expérimental et la pure satisfaction d’un film de genre. Par ces couleurs qui viennent dissiper des noirs intenses mais aussi par sa réalisation. Qu’on pense à la fluidité des mouvements de camera (les travelings qui suivent les personnages et parfois animent un sequence), cette façon de se focaliser sur un détail (cette scène où tout tourne autour d’un sac à main)…
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L’histoire du cinéma fait de ce long métrage l’un des précurseurs du Giallo. On y retrouve en effet l’aspect machination de l’intrigue, un tueur plus vénal que mentalement déranger – qui n’a rien à voir avec les psycho killers U.S. ou les considérations psychanalytiques d’Hitchcock – mais à l’apparence iconique et très stylisée, une série de meurtres que la police peine à élucider et une bonne dose de violence. Une violence presque préservée en dépit du temps passé et du fait que la personne qui découvre ce film en 2019 a sans doute vue pire ailleurs et pourtant elle reste assez efficace. Six femmes pour l’assassin est un film de 1963 ce qui en fait le contemporain de 2 000 Maniacs !, le deuxième film gore d’Herschell Gordon Lewis après Blood Feast. En 1963 The Beatles était encore un petit groupe prometteur, des rockers à la coupe au bol et en costume, et Phil Spector n’avait pas encore tué l’actrice Lana Clarckson. C’était une toute autre époque donc et Mario Bava était plutôt démonstratif pour son temps en matière de représentation pelliculée de la violence. Nous sommes trois ans après Psychose d’Alfred Hitckock et on pouvait pousser le curseur un peu plus loin.
Bien sûr Bava suggère plus qu’il ne montre. L’approche est légèrement biaisée, Six femmes pour l’assassin n’est pas un film Gore mais un Thriller. Le spectateur en voit assez pour se faire son film à lui mais pas plus pour passer entre les filets de la censure. Nous en sommes encore à l’heure de la suggestion, du symbolisme car ce que le Giallo emprunte à Six femmes pour l’assassin c’est moins une formule scénaristique ou un type d’intrigue qu’un langage picturale et une grammaire cinématographique qui fascinera Dario Argento qui s’en inspirera pour des films comme L’oiseau au plumage de cristal ou Suspiria, qui n’est pas un Giallo mais une œuvre aux couleurs expressives.
Six femmes pour l’assassin est un film qui ne s’appuie pas sur l’empathie. Ces personnages ont tous plus l’air de coupables que d’innocents. Pire à la différence des canons du Giallo tel qu’ils se développent à partir de L’oiseau au plumage de cristal (1970), l’enquête n’est pas mené par un témoin/victime potentielle/suspect qui sert de repère aux spectateurs. Le héros, et souvent l’héroïne, du Giallo impose à l’intrigue son point de vue, parfois en dialogue avec celui du tueur, ici rien de tel. Ces personnages nous les voyons évoluer comme des poissons dans un aquarium sans réellement développer de lien avec eux. Ils sont des rouages dans la grosse machine de l’intrigue. Ce point de vue indifférent aux enjeux de l’histoire renforcent l’étrangeté d’un film qui fut un échec commercial à sa sortie. Ce point de vue si particulier amène à des bizarreries, des plans qui défient les règles de la réalisation et qui ne sont pourtant pas des erreurs. Dans les bonus à l’édition du film chez Studiocanal, dans la collection Make my day ! dirigée par Jean-Baptiste Thoret, on trouve un entretien avec Christophe Gans, le réalisateur du Pacte des loups, qui donne une explication à ces vues séquences avec une vue subjective bizarre puisqu’elle ne semble rattachée à personne mais on vous laisse la surprise.
Il y aurait de quoi noircir des pages et des pages mais il est temps de conclure. Enfin une dernière petite chose, juste après le générique, il y a ce plan où l’on voit une enseigne, celle d’une maison de haute couture, qu’un coup de vent décroche partiellement. Difficile de ne pas voir dans ce détail l’annonce de la tourmente de meurtres qui va balayer cette entreprise du luxe archétype du chic italien, de la dolce vita. Le film ne manque pas de détails de ce genre comme autant de clins d’œil fascinant. Six femmes pour l’assassin est un long métrage capiteux et entêtant. C’est surtout une œuvre morbide et très noire, un vrai délice doux amer.
R.V.
Pour plus de gialli voir cette sélection qui n’est pas exhaustive, loin de là :
Chats rouges dans un labyrinthe de verre – Je suis vivant ! - L’Etrange vice de Madame Wardh – L’Eventreur de New York – La Lame infernale – La Longue nuit de l’exorcisme – La Queue du scorpion – Le Tueur à L’orchidée – Le Venin de la peur – Les Rendez-vous de Satan – Mais qu’avez-vous fait à Solange ? – Nue pour l’assassin – Spasmo – Torso – Toutes les couleurs du vice
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