Gremlins
L’infra film d’horreur
1984 pas l’ombre d’un Big Brother en vue mais une bande de salles petites créatures qui vont envahir les salles de cinéma et conquérir le Monde
Synopsis : Billy Petzer reçoit de son père un inventeur à la peine un étrange animal, un mogwai nommé Gizmo. La petite boule de poile est mignonne mais il y a trois règles à respecter pour le bien-être de l’animal, ne pas l’exposer à des lumières vives, ne pas le mouiller et ne pas le nourrir après minuit. Billy enfreindra par inadvertance toutes ces règles avec des conséquences inégales, de la plus bénigne à la plus catastrophique.
Il arrive toujours un moment dans la vie d’un film d’horreur où malgré toutes ses qualités celui-ci ne fera plus peur. On ne parle pas de cette évaporation qui se fait après le premier visionnage mais de la puissance de frousse de l’œuvre que les ans saperont sans le moindre remords. En son temps King Kong était un film que faisait peur et devait se battre contre la censure. Aujourd’hui même dans une version restaurée et non censuré le gros singe de 1933 ne fait plus peur à personne et la seule chose qu’un gamin de dix ans trouverait à objecter à ce long métrage est qu’il est en noir et blanc et que c’est nul - on est tous passé par là et certains y demeurent.
On peut voir deux raisons à ce phénomène la première est à la fois technique (la progression des effets visuels, du maquillage…) et due à la surenchère qui est l’un des moteurs du genre, la seconde raison est que ce qui est rentré dans la culture pop perd de sa capacité à susciter la peur, l’effroi, la frayeur. King Kong, le très grand singe, est entré dans l’inconscient collectif et est devenu une figure trop familière pour provoquer une sincère terreur, pire on sait dès le départ que le gros monstre est peut-être la vraie victime de cette histoire (avec ces pauvres indigènes qui n’avaient rien demandé à personne). Gremlins en ne cherchant pas à créer la peur à griller cet étape pour devenir instantanément culte et s’inscrire dans l’inconscient collectif des gamins et ados des années 80.
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Gremlins sortit en 1984 et rencontra un franc succès en salle. Fruit de la collaboration de Joe Dante (Piranhas) à la réalisation et de Robert Zemeckis (Les Goonies) au scénario le long métrage est produit par Amblin, la compagnie de Stephen Spielberg (qui a le droit à un cameo). Le film sent bon les années 80 dans ce qu’elles avaient de nostalgiques des années 50 et des années 60 naissantes, avant l’assassinat de Kennedy, et se passe dans une petite ville, Kingston Falls, qui semble encore coincée dans un autre temps. L’intrigue ne se déroule pas dans une grande ville ou dans une banlieue pavillonnaire (le décors de Poltergeist sorti deux ans plus tôt). Cette ville provinciale et ses habitants sont une image de l’Amérique éternelle, une vision idéalisée mais fanée. Pas de place pour une nostalgie béate ici. Le personnage qui incarne le mieux ce sentiment de nostalgie, M. Futterman (Dick Miller, un habitué des films de Joe Dante) est d’abord sympathique puis le spectateur est douché dans cette première impression devant sa xénophobie qui est tout sauf rampante ou dissimulée. Kingston Falls est un décors familier qui s’effrite car même ici on trouve un yuppie arriviste qui acène des maximes comme « le monde change il faut s’adapter ». Et il y a l’horrible Mme Deagle qui menace de chasser des gens de chez eux, a fait fermer l’usine du coin et veut que Barney, le chien du héros Billy (Zach Galligan), elle est l’incarnation de ce que papi Marx appelait les eaux froides du calcul économique.
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Ce personnage sert à nous rappeler que Gremlins est aussi un film de Noël. Que de toutes les fêtes disponibles dans le calendrier U.S., sans compté les jours privés de festivité, c’est la période de Noël qui a été choisie comme cadre à ce film fantastique. Mme Deagle c’est un peu le Grinch et beaucoup Scrooge le personnage de Dickens dans A Christmas Carol. La chanson du générique, Christmas (Baby Please Come Home), chantée par la grande Darlene Love a été piochée dans A Christmas Gift for You de Phil Spector (1963) et propulse le spectateur dans la douce euphorie des fêtes. L’ambivalence de cette période festive est un des enjeux du film qui joue à fond le registre amour/haine qu’on a un peu tous face à cette période de joie plus ou moins sincère.
Noël dans le film est tout à la fois le prétexte, le père de Billy achète Gizmo en cadeau pour son fils, une toile de fond et un élément de contraste entre le chaos qui s’empare de Kingston Falls et ce que sont censés être les fêtes de fin d’année. Noël c’est le sucre qui fait passer l’amertume du café et Gremlins ne manque pas d’amertume. Il est d’ailleurs curieux que le narrateur du film, le père de Billy, en est le grand absent toujours loin de chez lui au point de manquer, et ce n’est sans doute pas la première fois, le réveillon de Noël.
Gremlins est un infra film d’horreur. Comprendre que c’est un film qui s’arrête sur le seuil du genre mais sans le franchir. C’est un long métrage qu’on peut voir en famille sans crainte de traumatiser les gamins ou les personnes allergique à l’épouvante. Joe Dante qui s’y connait en matière d’horreur sait jusqu’où aller et demeure bien sagement du côté de la comédie fantastique mais la structure de l’intrigue emprunte aux films d’invasion extra-terrestre des années 50 - Billy regarde L’invasion des profanateurs de sépultures. La scène où il cherche à convaincre le sheriff et son adjoint que des monstres sèment la pagaille en ville est un emprunt direct au genre car bien sûr les adultes ne le croient pas. On retrouve également cette progression allant de faits étranges mais apparemment anodins à un déchaînement de violences (ici laissées hors champ) typiques des histoires fantastiques. La violence est cartoonesque.
Le film fait d’autres clins d’œil au cinéma d’horreur. Les cocons desquels jaillissent les gremlins font penser à ceux vus dans Alien tout comme la façon qu’à Joe Dante de retarder autant que possible l’apparition des salles bêtes fait penser à la manière qu’a Ridley Scott de cacher le xénomorphe autant qu’il le peut. Enfin la vulnérabilité des gremlins devant les rayons du Soleil fait échos à celle des vampires et la scène qui voit périr le gremlin en chef, celui à crête, est comme une réminiscence des films de Dracula.
Gremlins n’est pas exempt de défauts mais peu importe que la règle de ne pas nourrir les mogwais après minuit soit complétement pétée, on est toujours après minuit, ce qui importe c’est l’aspect jouissif du jeu de massacre auxquels se livrent les gremlins. La saveur première du long métrage réside dans les méfaits des gremlins créatures chaotiques mais pas complètement dénuées d’intelligence et la joie mauvaise qu’ils communiquent aux spectateurs.
Plus de trente ans après sa sortie en salle le long métrage de Joe Dante s’affirme comme l’un de ces films des années 80 qui annoncent le cinéma populaire post-moderne autoréférencé qui pullule sur les écrans et pas seulement dans le monde du cinéma de genre en général et d’horreur en particulier.
R.V.