Seizure !
La Reine
le Bouffon
le Bourreau
Le premier long métrage d’Oliver Stone est un singulier petit film d’horreur hallucinatoire, cauchemardesque et ésotérique
Titre français : La Reine du Mal
Réalisation : Oliver Stone Scénario : Oliver Stone & Edward Mann Distribution :
Année : 1974 Synopsis : L’auteur Edmund Blackstone convie dans sa demeure isolée des connaissances pour y passer le weekend. L’ambiance se tend vite entre les invités mais ce qui fait dérailler la situation c’est la survenue de trois étrangers aux intentions parfaitement inamicales.
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Seizure ! (La Reine du mal en français) n’est pas un chef‑d’œuvre méconnu et injustement oublié ou le premier essai et coup de maître d’un futur grand réalisateur mais plutôt un film d’horreur des années 70 sympathique et pas déplaisant. Si Seizure ! est méconnu son réalisateur ne l’est pas puisque c’est le premier long métrage d’Oliver Stone qui avait auparavant tourné un court (Last Year in Viet Nam) et eut pour professeur de cinéma un certain Martin Scorcese. En 1974 date de sortie en salle de Seizure ! Stone n’est pas encore le réalisateur réputé qu’il finirait par devenir dans la décennie suivante, pour l’heure ces décorations étaient militaires et le fruit de sa participation à la guerre du Viet Nam.
Le scénario de Seizure ! a été écrit par Oliver Stone et Edward Mann ce n’est pas une œuvre de commande il est d’autant plus tentant d’y chercher certaines thématiques qui seraient chères au réalisateur de Platoon, de Wall Street, du moins connu U‑Turn (avec Jennifer Lopez et Sean Penn dans un film noir, chaud et moite) et bien sûr du remake de Scarface. C’est un jeu auquel vous pourrez vous livrer, nous privilégierons dans cette chronique ce qui fait le charme de Seizure ! en regard du foisonnement horrifique des années 70, ce qui est plus raccord avec les obsessions de ce cite.
Ce qui intrigue, à quarante-six ans d’écart, c’est à quel point Seizure ! est marqué par les années 70 dans ses décors, ses costumes et sa distribution. La capacité a apprécié le spectacle dépendra sans doute de l’attrait qu’exerce, ou pas, sur vous cette décennie.
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Seizure ! a été tourné en décors naturel au Québec, à Val Morin et dans les Laurentides. L’équipe relativement isolée a vécu sur place en une communauté comme les années 70 en raffolaient. L’alcool ne manquait pas ce qui explique peut-être une certaine hébétude qui émane du film. L’art se nourrit de contraintes, ici elles furent financières. Seizure ! n’était pas le film à gros budget d’un grand studio et le résultat est étonnant car à côté du réalisme du décors et des costumes, sur lesquels nous reviendrons, se déploie une intrigue qui très vite se débarrasse de tout réalisme pour embrasser un fantastique décomplexé avant de changer une nouvelle fois de ton avec le dénouement et un retour au réalisme. A moins que ce ne soit qu’un leurre.
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Les costumes charrient avec eux ce même mélange, on commence dans le réalisme jusqu’à la survenue de Martine Beswick, la Reine du mal du titre français c’est elle, et de ses deux acolytes Hervé Villechaize (un nain meurtrier qui passe très vite toute envie de faire des blagues sur sa petite taille) et Henry Judd Baker un colosse noir en costume de bourreau. Ces costumes évoquent un Moyen-Age de compte de fées et une horreur gothique qui rappelle Le Masque de la Mort rouge de Roger Corman sortit dix ans plus tôt. La survenue de ce trio est le signe que quelque chose ne tourne pas rond et que l’explication un temps fournit par le film de fous échappés de l’asile ne tient pas complètement. Les costumes du trio les placent résolument à part.
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Les costumes plus marqués par la décennie 70 ne sont pas dépourvus de symboliques et aident à la caractérisation des personnages, les atours tapageurs du nouveau riche, si prompt à sortir son carnet de chèques, Charlie Hughes joué par Joseph Sirola en disent aussi long sur le personnage que sa scène d’engueulade avec un pompiste et contrastent avec ceux du personnage Serge Khan (Roger De Koven) avec ses costumes sombres, il est le représentant de l’ancienne et moribonde aristocratie européenne. L’épouse de Hughes, la sensuelle Mikki incarnée par Mary Woronov (qui l’année suivante parue dans La Course à la mort de l’an 2000, de Paul Bartel, au côté de Sylvester Stallone et de David Carradine et qu'on verra dix ans plus tard à l'affiche de Nomads le premier long métrage de John McTiernan), est une femme trophée au sex appeal ravageur. Ces costumes reflètent aussi plus généralement un certain goût de cette décennie pour une forme d’exotisme mystique, l’énorme pendentif égyptien que porte Christina Pickles l’interprète de Nicole Blackstone, la maîtresse de maison, et future Judy Geller, la maman de Ross et Monica dans Friends, est une relique d’un temps dépourvu du concept d’appropriation culturelle. Ce bijou fantaisie peu discret convie cette imagerie égyptienne ésotérique qu’on trouve en abondance dans le court-métrage Lucifer Rising de Kenneth Anger.
Enfin il y a la distribution de Seizure ! qui est marquée du sceau de cette décennie en transition entre la fausse insouciance bienheureuse, cette innocence trompeuse, qu’on prête aux années 60 et le cynisme revenu de tout ou presque qu’on attribue aux années 80. Oliver Stone s’est entouré d’acteurs plus ou moins novices (Christina Pickles) et d’autres plus chevronnés comme Martine Beswick et son charme étrange (des apparitions dans deux James Bond, Dr. Jeckill et Sister Hyde pour la Hammer…) ou Jonathan Frid qui interprète l’écrivain Edmund Blackstone et qui était connu outre‑Atlantique pour sa participation à la série Dark Shadows où il jouait le rôle du vampire Barnabas. Il y a aussi Hervé Villechaize qu’il est facile d’assimiler aux années 70 pour ses rôles de Tatoo dans L’Île fantastique et de Nick Nack dans L’Homme au pistolet d’or (James Bond toujours mais au cœur de la période Roger Moore) où il est le complice de Christopher Lee qui prête ses traits au vilain Scaramanga et son téton surnuméraire. Une belle collection de gueules.
L’Ange du Bizarre plane sur Seizure ! pour le mieux mais aussi pour le moins bien, il y a des moments où le film se perd et perd son public. Comme un flottement qui n’est pas dû à l’inévitable ventre mou que rencontre tous les films. Son histoire n’est pas vraiment des plus innovantes, des gens qui ne s’aiment guère se retrouvent dans une maison isolée autour de laquelle la mort rôde. Agatha Christie et son Dix petits nègres ne sont pas très loin. Oliver Stone semble même un temps apporté sa pierre à l’édifice du slasher encore en gestation. On retrouve la vue subjective menaçante, les poursuites nocturnes dans les bois, l’ubiquité de l’assassin, le cadavre découvert inopinément. Le premier meurtre est même celui du chien. Seizure ! commence comme un pré-slasher avant de prendre une toute autre direction. En 1974 l’horreur était foisonnante mais elle n’était pas autant codifiée qu’elle finirait par le devenir dans les années 80.
Oliver Stone d’ailleurs ne tourne pas un film particulièrement violent, nombre de mises à mort se font hors champs, ces productions futures seront plus démonstratives (trois, ou presque, mots pour frémir : salle de bains, tronçonneuse, Scarface), et même selon les critères du temps Seizure ! ne participe pas à la surenchère des films d’exploitation, nous sommes très loin de La Dernière maison sur la gauche. Seizure ! est même moins visuellement agressif qu’un Exorciste pourtant tourné pour un grand studio. Le budget du film y est peut-être pour quelque chose mais l’histoire du cinéma gore est celle de productions à faible coût, sans doute que la représentation à l’écran d’actes violents n’était pas ce que recherchait Stone. Ce qui en revanche importe dans ce film c’est plutôt comment on en arrive là.
Le malaise naît moins de la violence brute dépeinte à l’écran que des actes que certains personnages sont prêts à commettre et aussi de cette sensation onirique, l’impression tenace d’assister à un cauchemar. Un rêve macabre, fascinant et troublant. Un rite initiatique avec une série de mises à l’épreuve. Oliver Stone nous emmène loin du somme toute confortable slasher avec sa mécanique bien huilée, il se permet même avec le dénouement de changer de héros. Il faut dire que son héros initial, l’écrivain Edmund Blackstone n’a pratiquement raté aucune occasion d’agir de façon égoïste même quand la survie de sa famille en dépendait. Cette déchéance du protagoniste principal est l’une des formes d’horreur les plus terribles car elle rend presque impossible un dénouement heureux et un retour à la normale.
Ce qu’un film d’horreur peut souvent faire de plus malsain c’est de nous amener à suivre la descente vers l’abyme de son protagonisme principal jusqu’à la conclusion logique qu’il n’y aura pas de retour en arrière possible, c’était ce qu’avait accompli le premier The Descent, c’est une voie qu’emprunte un Oliver Stone jeune réalisateur d’un pas un peu chancelant et hésitant.
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Seizure ! n’est définitivement pas une pièce maîtresse dans l’histoire du cinéma ou même dans la filmographie mais ce pré‑slasher ésotérique mais pas hermétique a de quoi convaincre les amateurs de cinéma d’horreur des années 70 et ceux qui aiment les longs métrages un peu malade.
R.V.