4 mouches
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Un film entre deux eaux
Conclusion de la trilogie animalière 4 mouches de velours gris est une œuvre bâtarde et un film qui annonce en filigrane le futur surnaturel de l’œuvre d’Argento
Titre original : 4 mosche di velutto grigio
Réalisateur : Dario Argento Scénario : Dario Argento, Luigi Cozzi & Mario Foglietti Distribution :
Année : 1971 |
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Synopsis : Le musicien Roberto Tobias est depuis quelques temps suivi par un homme mystérieux. Lorsque Roberto décide de faire cesser cette situation une bagarre s'en suit avec l'inconnu et l'homme meurt. Roberto est dès lors harcelé par un homme masqué dont il cherche à percer l'identité. Bientôt les morts vont se multiplier autour de Roberto.
En 1971 Dario Argento a déjà réalisé L’Oiseau au plumage de cristal, œuvre fondatrice de la vague du giallo, Le Chat à neuf queues et ce 4 mouches de velours grises qui clos rétrospectivement la trilogie animalière du réalisateur. Cette trilogie informelle commencée en 1969 (année de tournage de L’Oiseau…) a vu s’engouffrer dans la brèche une floppée de suiveurs plus ou moins doués au premier rang desquels se distingue le prolifique Sergio Martino (L’Etrange vice de Mme Wardh, La Queue du Scorpion et plus tard Toutes les couleurs du vice, Torso…) mais où l’on trouvait aussi des réalisateurs qui connaîtraient une heure de gloire plus tardive comme Lucio Fulci avec Le Venin de la peur. Argento s’est fait déposséder d’un bébé, le giallo moderne, que de toutes façons il ne souhaitait pas plus que ça voir grandir.
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En 1971 Dario Argento n’est pas encore un GRAND MAÎTRE DE L’HORREUR et son film suivant, le très ignoré Cinq jours de révolution (1973), une tentative de comédie avec la vedette Adriano Celentano dans la distribution montre qu’en ce début d’années 70 le réalisateur avait des envies de cinéma qui dépassaient le strict cadre du film de frissons. L’échec commercial de ce long métrage (qui n’eut pas le droit à une sortie française) ramènerait Argento à l’horreur et au giallo avec Les Frissons de l’angoisse (1975), nouveaux adieux au genre avant un retour destructeur dans Ténèbres (1982) mais revenons à 1971 et à 4 mouches des velours gris et partons d’un constat simple, ce film est l’un des rares gialli (le seul ?) a osé le mélange de comédie et d’horreur. Un parti pris hasardeux et qui a de quoi déconcerté.
Il y a dans 4 mouches de velours gris à peu près tout ce qu’on peut espérer trouver dans un giallo : des meurtres sanglants, des fausses pistes, un tueur mystérieux, un personnage qui mène une enquête parallèle à celle de la police (des forces de l’ordre à peine présentes à l’écran), un personnage qui tente de faire chanter l’assassin (ici il y en a deux) et un soupçon d’érotisme… Ce qui distingue les 4 mouches… de la concurrence et du reste de la filmographie d’Argento (hormis Cinq jours de révolution) c’est la présence à l’écran de personnages comiques et d’intermèdes humoristiques. Côté personnages il y a le professeur (Oreste Lionello), un genre de sosie de Godard, Dieu en la personne de Bud Spencer, qui apparaît à l’image pour la première fois accompagné par des « Alléluia » tonitruants, on se croirait presque dans Tout le monde il est beau tout le monde il est gentil, un détective privée homosexuel qui sait que chacun de ses échecs passés le rapproche du succès (Jean-Pierre Marielle) et enfin il y a le facteur (Gildo Di Marco). Il est à chacune de ses apparitions l’objet d’un sketch depuis la femme qui lui reproche sa mauvaise distribution du courrier (personne n’a envie de se retrouver avec les magazines pornographiques de son voisin, nous sommes bien avant internet) à la guignolade qui voit le héros par ailleurs plutôt falot, nous y reviendrons, le bastonner parce qu’il l’a pris pour l’individu qui le persécute, une scène qui entraînera les autres sketchs à venir impliquant le facteur.
4 mouches de velours gris c’est l’histoire de Roberto Tobias (Michael Brandon) et de la machination qu’un individu trame autour de lui. C’est un héros passif, une mouche prise dans une toile d’araignée. Tobias est un personnage passif, l’antithèse du héros virile qui prend les choses en main. Et en cela assez différents des autres héros du genre à commencer par ceux qu’on peut voir dans les autres films d’Argento. Il est plus proche d’une Edwige Fenech, qu’on aime d’un amour vrai, sincère et inconditionnel, mais qui dans la plupart des gialli dans lesquels elle a tourné (L’Etrange vice de Mme Wardh, Les rendez-vous de Satan, Toutes les couleurs du vice…) en est réduit à jouer les belles plantes passives autour de laquelle s’active une menace qui veut sa perte. Roberto Tobias est par ailleurs un double physique du réalisateur, même longue silhouette et même cheveux longs, nous sommes loin de l’archétype macho italien. Tobias n’est pas un séducteur et pire encore il est malheureux dans son couple avec la froide et distante Nina jouée par Mimsy Farmer héroïne de More de Barbet Schroeder , film iconique de la contre-culture de la fin des années 60 dont la B.O. était signée par Pink Floyd, un groupe que Dario Argento aurait bien aimé embaucher pour 4 mouches de velours gris. Détail évocateur Nina a les cheveux courts et très blonds, presque blancs. Les époux Tobias sont un couple androgyne et dès leur première scène ensemble, une scène de lit souvent si éloquente au cinéma, nous savons que l’amour n’est plus présent entre ces deux êtres.
Avec son héros passif et ses intermèdes comiques il y a de quoi craindre le pire mais 4 Mouches de velours gris est un funambule qui ne perd pas complètement son objectif et qui parvient à instiller la peur et n’est pas économe en mise à morts spectaculaires. Le sang coule et soyons francs c’est pour ça qu’on est venu là. Surtout Dario Argento reste ce cinéaste joueur et généreux qui en met plein les yeux.
Dès le générique, une séquence qui mériterait à elle seule d’être décortiquée plan par plan avec le plus grand soin, Argento adresse au public une lettre d’attention des plus claire. D’abord il montre que son imaginaire visuel est toujours aussi affûté, ce plan depuis l’intérieur d’une guitare, ou cet autre d’un insecte pausé entre les deux cymbales de la charleston de la batterie de Tobias, ensuite il présente 4 mouches… comme un film fantastique. Dans ce même générique il y a ce moment de grâce, comme suspendue, où Tobias qui jouait avec les membres du groupe la musique du générique cesse de jouer pour regarder l’homme qui le suit depuis un temps indéterminé, l’inconnu est de l’autre côté de la vitrine, dans la rue, pourtant la batterie dont Tobias ne joue plus continue à se faire entendre. C’est un détail auquel on ne peut échapper. Ce parti pris fantastique et onirique qui annonce les films à venir est également illustré par une scène que l’on retrouve dans L’Etrange vice de Mme Wardh (décidément) un film sorti la même année mais qui ne fut pas tourné en Italie et en comparant les deux il est évident que Sergio Martino, qui n’est pas sans qualité, n’est pas Dario Argento. Dans les deux films, un personnage qui tente de faire chanter le tueur doit le retrouver dans un parc, le temps passe et le décors familier, sûr, inoffensif se mue en piège mortel. Mais dans 4 mouches… le traitement qu’en fait Argento n’est pas réaliste. La nuit tombe d’un coup comme le parc grouillant de monde se vide d’un coup.
L’aspect onirique, ou plutôt l’importance du rêve, est marqué par cette scène répétée mais complétée qu’à sa troisième itération de la décapitation en Arabie Saoudite avec le rituel raconté par un personnage lors d’une soirée entre amis. Ce rêve n’a rien à voir avec l’intrigue en tant que tel mais prend un aspect prémonitoire lorsqu’arrive le dénouement de 4 mouches de velours gris. Un dénouement apocalyptique (l’apocalypse c’est le livre de la révélation) qui amène à réexaminer le film avec un regard nouveau depuis le premier meurtre qui n’en n’est pas un mais qui en amènera de bien réels jusqu’à l’identité du tueur et ses motivations, ces traumatismes enfantins chers à Argento. 4 mouches de velours gris n’est pas un film rationnel et ce rêve prophétique est une manifestation du fantastique qui renforce cette sensation de surnaturel. L’intervention de Dieu, Bud Spencer, qui sauve le héros peut aussi être vu comme cette intrusion du fantastique, et on ne s’étendra pas sur les motivations confuses de l’assassin. 4 mouches… est un film irrationnel une veine que Dario Argento creusera tout au long de la seconde moitié des années 1970.
Dernier aspect marquant, 4 mouches… qui s’ouvre sur un tour de force se ferme sur un autre avec une scène choque et belle à pleurer sur fond d’une composition poignante d’un Ennio Morricone qui voyait sa collaboration avec le réalisateur prendre fin. La musique de Morricone l’une de ses plus belles accompagne la mort de l’assassin dans une scène aussi violente que grâcieuse. Le dernier des gialli animaliers d’Argento n’est peut-être pas son meilleur film et il peut être ingrat au premier visionnage avec ses ruptures de ton mais sur le long terme il s’agit bien d’un film attachant au charme doucereux et venimeux qui gagne en saveur à chaque nouvelle vision.
R.V.
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