La tombe
de Ligeia
Plus fort que la mort
Dernier film du cycle Edgar Allan Poe réalisé par Roger Corman, La Tombe de Ligeia est un mélodrame surnaturel, un triangle amoureux nécrophile et aussi une œuvre macabre qui se déploie en toute volupté
Titre original : The Tomb of Ligeia
Réalisation : Roger Corman Scénario : Robert Towne & Paul Mayersberg (non crédité), d'après une nouvelle d'Edgar Allan Poe Distribution :
Année : 1964 |
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Synopsis : Verden Fell, depuis la mort de son épouse tant aimée, Ligeia vit en reclus dans une abbaye en partie en ruine. Sa macabre passion et son isolement sont troublés par les hasards d’une chasse à courre qui amena sur son domaine la belle et pleine de vie Rowena de Trevanion.
Sorti la même année que Le Masque de la Mort Rouge et venant conclure en beauté le cycle Edgar Allan Poe réalisé par Roger Corman (voir aussi la chronique de La Malédiction d’Arkham), La Tombe de Ligeia est l’adaptation de la nouvelle « Ligeia » (traduite jadis en français par Charles Baudelaire) trouvable dans le recueil Histoires extraordinaires en poche chez plein d’éditeurs. Cette nouvelle est dans la veine qui coure tous le long du XIXème siècle de ces histoires fantastiques d’amour nécrophile, une de ces passions morbides que continue d’éprouver, par delà la tombe, le narrateur pour celle qui n’est plus. C’est un thème récurant dans les poèmes aussi bien que dans les nouvelles de Poe (« Bérénice », « Morella » ou la Lenore perdue du « Corbeau »), c’est aussi le reflet de cette mort qui paraissait de plus en plus scandaleuse aux gens de ce siècle de progrès qui ne pouvaient plus se résoudre à la mortalité des êtres chers. C’est sans doute là que la nouvelle, écrite en 1836, comme le film, tourné en 1964, continue par delà les ans à trouver quelque résonnance chez les spectateurs du XXIème siècle car la mort ne nous est pas moins scandaleuse à nous autres humains du XXIème siècle.
Alors, La Tombe de Ligeia, un petit film sympathique ? C’est ce que par empressement on serait tenté de penser et pourtant. Non pas vraiment, il y a d’abord le tour de force scénaristique de transformer un récit littéraire à la première personne en récit filmique à la troisième personne tout en conservant l’étrangeté de l’histoire, le ton affecté et pédant du narrateur en pleine confusion de la nouvelle originale. Un narrateur dont il est tout à fait possible de ne pas prendre le récit pour argent comptant, le garçon est opiomane. La gageure ultime est bien là, comment rendre à l’écran ce manque de fiabilité du narrateur. En donnant une plus grande place au personnage de Rowena Trevanion, en faisant voir une partie des mystères à l’œuvre à travers les yeux de la jeune femme. Ce travail d’écriture préliminaire est l’ouvrage de Robert Towne (future scénariste de Chinatown, de Greystoke…) et Paul Mayersberg (lequel n’a pas été crédité mais dans la décennie suivante écrira L’Homme qui venait d’ailleurs et Furyo deux films avec David Bowie). Tous les longs métrages de Roger Corman n’ont pas bénéficié de scénarios comme celui-là et c’est un vrai plus.
S’il est bon de saluer le travail des scénaristes La Tombe de Ligeia n’est pas qu’un bon scénario c’est aussi un beau long métrage qui bénéficie de décors extérieurs britanniques, y compris une vue de Stonehenge, qui donne un cachet plaisant à La Tombe de Ligeia qui tranche avec Le Masque de la Mort rouge pur long métrage de studio. La réalisation de Roger Corman n’est pas dépourvue d’attrait dans ce film gothique qui comme les autres pièces du cycle semble avoir été conçu pour à la fois permettre à Corman de mettre en image sa passion pour Poe et aussi capitaliser sur les succès de la Hammer et de son horreur ancrée dans la littérature du XIXème siècle et du début du XXème.
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Passé la scène introductive de l’enterrement de Ligeia (et la question semble-t-il brûlante de l’inhumation dans un sol consacré de celle qui n’était apparemment pas chrétienne) La Tombe de Ligeia semble chassé avec force les éléments trop évidemment gothiques. Il fait jour, c’est pour beaucoup un film diurne ce qui n’est pas si courant notamment dans le cycle Poe, la scène de la chasse à courre est dynamique, les habits rouges et le vert de la campagne anglaise participent de ce dynamisme comme l’action elle-même. Mais chasser le naturel il revient au galop et outre que la chasse à courre est en soit une activité où il est au moins autant question de la vie que de la mort, il suffit qu’apparaisse-t-à l’écran Vincent Price (dans les rôle de Verden Fell, le veuf de Ligeia) pour que le soleil se dissipe. Il n’est pas juste vêtu de noir, il est sombre et pire encore il ne supporte pas la lumière du jour. Et tout du long La Tombe de Ligeia jouera de cet opposition entre la lumière et les ténèbres, la vie et la mort, et aussi le bien et le mal.
L’actrice Elizabeth Shepherd dans son rôle de Rowena Trevanion, elle interprète aussi Ligeia, est tout le contraire du ténébreux, inquiétant et lunatique personnage incarné par Vincent Price. Elle est pleine de vie et de détermination alors qu’elle évolue dans un environnement macabre qui la rejette avec une vigueur croissante. Elle, la vivante, est aussi radicalement différente de Ligeia la morte, cousine de Morticia Addams ou de Vampira, l’humour en moins. C’est à un curieux triangle amoureux que nous convie Corman avec la retenue qui seyait à un film de 1964 avec son personnage masculin prit entre son amour pour une défunte et sa nouvelle épouse. Ce n’est pas un combat à armes égales, la morte à très nettement l’avantage. Cette retenue, pour un homme qui par ailleurs revendiquait pour les films qu’il produisait un usage décomplexé de la violence et aussi de la nudité (féminine est-ce nécessaire de le précisé ?), témoigne que ce film n’était pas pour Corman tout à fait comme ses autres projets plus ouvertement tournés vers l’exploitation. Le cycle Poe était à ses yeux ce qui se rapprochait le plus d’œuvres de prestige.
La Tombe de Ligeia est un film intimiste avec peu de personnages, à côté du couple formé par Rowena et Verden on trouve le fade mais fiable Christopher Gough (John Westbrook), le fidèle domestique Kenrick (Oliver Johnston), le père de Rowena (Derek Francis) et surtout un chat noir qui vole régulièrement la vedette aux humains. Chacune des apparitions du félin est réjouissante, il y a une telle malignité dans la créature, ces attaques contre Rowena évoque la façon dont un chat joue avec sa proie. Plus qu’un gimmick, ce chat noir est un personnage à part entière, ce qui lui vaut d’apparaître sur les affiches du film. Ce petit mammifère aux griffes rétractables porte sur lui d’être le seul monstre que l’on verra à l’écran et pendant la majeure partie de La Tombe de Ligeia il est le constant rappel qu’une force surnaturelle pas forcément bénéfique sévit dans les parages.
Certains trouveront La Tombe de Ligeia datée (sans que ce soit tout à fait faux, plus d’un demi-siècle nous sépare de son tournage) ou bailleront en évoquant un film où ils ne se passent rien (sur ce point ils auront tort) surtout en comparaison de ce qui se fait aujourd’hui. La Tombe de Ligeia n’est pas un film spectaculaire, surtout pour nos sensibilités contemporaines. Corman mise sur l’atmosphère nous sommes ici plus proche d’un film de maison hantée que d’autre chose et l’hypothèse de la folie de Verden Fell, une folie communicative, ne peut-être complètement levée. La Tombe de Ligeia est une des plus belles réussites du fantastique des années 60, un cousin des films de Jack Tourneur (La Féline) qui privilégie l’imagination à l’exhibitionnisme démonstratif et frontal.
R.V.