The Monster
Dans les bois
personne ne vous entendra
crier
Ils ne sont pas nombreux ces films qui réussissent à concilier les nécessités de l’épouvante avec une histoire vraiment émouvante, raison de plus pour célébrer The Monster
Réalisateur : Bryan Bertino
Scénario : Bryan Bertino Distribution :
Pays : Canada Synopsis : Kathy n’est pas la meilleure des mamans, elle a ses propres problèmes. Lizzy se fait quant à elle une joie de retrouver son père et de prendre ses distances avec celle qui l’a mise au monde. Le voyage en voiture sans histoire mais tendue par les difficiles relations entre la mère et la fille prend un tour inattendu et devient une affaire de survie quand ce qui est caché dans les bois les prend toutes les deux pour cible.
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Si le fantastique c’est l’immixtion douce, à pas feutré, du surnaturel dans la vie quotidienne, une descente en pente douce dans l’étrange qui n’est jamais aussi bien menée que lorsqu’elle garde son ambigüité, l’épouvante quant à elle surgit de la survenue brutale et violente dudit surnaturel dans l’ordinaire et le plus souvent ça fait mal. Dans le cas du long métrage qui nous intéresse, The Monster de Bryan Bertino (qui devrait revenir en cette année 2020 avec The Dark and the Wicked, un autre film d’horreur), c’est un monstre dans la forêt, un prédateur rusé qui percute littéralement la vie de Kathy (Zoe Kazan), la mère, et de Lizzy (Ella Ballentine, qui est à l’affiche du future The Dark and The Wicked), la fille. Les prémices de ce film ne sont pas du originalité démentielle mais l’exécution aboutit à un résultat plus que satisfaisant. The Monster est une plus belle réussite que nombre des grosses machines de l’horreur contemporaine qui capitalisent sur les attentes très basses d’un public adolescent qui se satisfait de monstres impressionnants (c’est bien le moins) et d’une pléthore de jump scares. Vrai film d’horreur The Monster met en son centre deux personnages attachants et émouvants avec leurs faiblesses et tous ce qui fait des êtres humains.
C’est d’abord, de façon évidente et immédiate, par une forme de classicisme que The Monster brille. Bryan Bertino a bien retenu les leçons fournies par des mètres étalons de l’épouvante entre films de monstre et de survie comme Alien de Ridley Scott. Sans être un hommage servile et par trop mécanique à ces modèles The Monster reprend néanmoins certains des trucs qui font que malgré les décennies, quatre déjà écoulées et la cinquième en cours, la première aventure du xénomorphe reste un film marquant. Le monstre du titre reste un mystère, il n’a pas de nom ni d’origine et comme ces informations ne serviraient à rien ne pas les avoir ne nuit donc pas au long métrage. Cette créature qui en a après Kathy et Lizzy n’est dans un premier temps qu’une ombre ou une silhouette, une forme qui occupe un coin de l’arrière plan. Il faut commencer par faire exister la menace, bâtir cette ambiance qui rend possible l’existence même du monstre avant que de le mettre au cœur du plan. C’est un travail patient mais qui est ici bien amené, on attend ce qu’il faut pour sentir monter l’angoisse mais pas assez longtemps pour se lasser et avoir cette sensation de « tout ça pour ça » qui serait dommageable.
Il y a ensuite la gestion de l’espace, du décors du film. Là encore Alien peut servir de point de comparaison, là où le Nostromo offrait avec ses coursives et ses recoins l’ombre et les cachettes propices à la dissimulation de l’extraterrestre pas commode ici ce sont la nuit et la forêt qui occultent le prédateur, lui aussi noir, à ses futures victimes. Au final il y a guère plus de monde pour vous entendre crier dans la forêt la nuit qu’il y en a dans l’espace et cet isolement est prégnant, il rend cette nuit interminable pour les deux héroïnes comme pour nous le public.
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Les spectateurs néanmoins en savent un petit peu plus que les protagonistes, ils voient la créature avant les personnages. Nous savons qu’elle existe avant que Kathy et Lizzie n’en ont connaissance. Bertino reprend là le schéma vu dans Alien mais plus fondamentalement est un disciple d’Alfred Hitchcock et de sa façon de filmer. La technique hitchcockienne du suspense qu’il opposait au mystère et à l’effet de surprise est que pour faire monter chez le spectateur ce frisson qu’il est venu chercher il faut lui en donner plus à voir, lui donner des informations que n’ont pas à leur disposition les personnages à l’écran. Surprendre son public est ce qu’il y a de plus facile et surtout ça maintient l’audience dans une attitude passive tandis que le suspense hitchcockien vise-t-à l’impliquer à le pousser à réellement se soucier de ce qui arrivera dans les minutes qui suivent aux protagonistes. Hitchcock appuyait son propos en prenant l’exemple d’une bombe et de sa minuterie qu’il faut montrer au public pour l’impliquer dans l’action et lui faire anticiper le possible pire. Dans The Monster la première apparition du monstre, à l’insu de la petite Lizzie, tient ce rôle de mise en alerte, d’implication des spectateurs. Cette scène fait aussi monter l’angoisse que nous sommes venus chercher dans ce film d’horreur. Il ne faut cependant pas trop en montrer, pas plus que le nécessaire, en cela l’analogie avec la bombe du bon Alfred Hitchcock cesse, des bouts de monstre ou une silhouette suffit car le but n’est pas d’avoir peur du monstre mais d’avoir peur de ce qu’il pourrait faire aux deux héroïnes.
Une fois encore ce qui frappe avec The Ranger, comme avec d’autres productions U.S. récentes à budget modeste, c’est que rien à l’écran ne crie au manque de sous. Le film est beau, sa photo est soignée et participe grandement à l’ambiance, et ne manque pas d’idées de réalisations comme ces images et ces séquences qui reviennent comme un leitmotiv. Sa narration ramassée et centrée sur son héroïne permet à The Ranger de dresser un beau portrait d’une jeune femme au lourd passé. Pas un chef-d’œuvre mais un slasher honnête, qui se laisse regarder et qui annonce peut-être, c’est tout le mal que l’on souhaite à Jenn Wexler, la naissance d’une réalisatrice dont on attend le prochain film avec intérêt.
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Si le monstre est important, ne serait-ce que parce qu’il est l’antagoniste, l’obstacle mortel qu’il faut surmonter, et qu’il est raisonnablement impressionnant pour le budget d’un petit film indépendant dont le budget est estimé sur IMDb à 2,7 millions de dollars. A titre de comparaison Get Out sorti l’année suivante en a coûté toujours selon le même site le double alors que la nouvelle adaptation de It a généré côté dépense le décuple, la vraie force de The Monster c’est son couple mère‑fille et leur relation complexe et conflictuelle.
Présentées au travers de flash-backs les origine de la relation tumultueuse entre Kathy à sa fille Lizzy sont le cœur de The Monster. Avant même l’attaque du monstre le voyage entreprit par ces deux protagonistes a tout d’un périple sans retour et petit à petit on découvre ce qui a irrémédiablement séparé cette mère à la dérive de sa petite fille, une adolescente qui a mûri trop vite. Les deux actrices Zoe Kazan et la toute jeune Ella Ballantine livrent des prestations crève‑cœur qui donnent vie à leurs personnages qui ne sont pas que de simples proies pour le monstre qui chasse dans la forêt qu’elles traversent alors qu’elles sont en route vers le père de Lizzy, son domicile, qui sera celui de la jeune fille, et aussi la compagne de ce dernier, une belle-mère qui n’est pas détestée.
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Le père et sa compagne sont les deux absents de cette histoire, ils sont gardés hors champs de cette histoire douloureuse. Kathy et Lizzy sont les personnages quasi uniques de The Monster. Le film ne s’embarrasse pas d’une distribution pléthorique. Il y a bien quelques seconds rôles mais leurs interactions avec Kathy et Lizzy sont aussi brèves que le plus souvent fatales. Il n’y aura pas de sauveurs extérieurs pour elles. Cette focale resserrée sur seulement deux personnages multiplie la charge émotionnelle de The Monster. Le long métrage ne se perd pas en sous intrigue ni ne s’éparpille à présenter des personnages dont les péripéties pourraient distraire l’attention. Il a déjà été dit ailleurs sur ce site tout le mal qu’on pense de la trop grande abondance de personnages dans par exemple The Conjuring, cet écueil ne menace pas ici et c’est très bien.
The Monster est un grand (artistiquement) petit (financièrement) film d’horreur car il parvient à concilier de pures moments d’horreur et le plaisir de ce frisson que l’amateur d’horreur recherche dans un film avec une émotion sincère suscitée par deux personnages poignants qui ne sont plus que de simples prétextes et qui nous éloignent d’archétypes mille fois vue et revue. L’art naît du frottement entre la passion et l’envie d’un côté et les réalités matérielles (l’argent) et techniques de l’autre, s’il n’avait pas été obligé de ne peindre qu’en bleu Picasso n’aurait pas eu sa période bleue. On voit laisse déterminer si Bryan Bertino est un Picasso de l’horreur contemporaine cependant quand on arrive à sublimer un petit budget pour faire un bon long métrage on mérite bien quelques éloges. Alors oui on attend la suite de la filmographie de Bertino avec un rien d’impatience.
R.V.