Emanuelle et
les derniers cannibales
Eros et Thanatos
vont en Amazonie
Entre érotisme des années 70 et film d’anthropophages, Emanuelle et les derniers cannibales est une bizarrerie qui ravira les uns et consternera les autres
Titre original : Emanuelle e gli ultimi cannibali
Titres alternatifs : Emanuelle chez les cannibale / Viol sous les tropiques Réalisation : Joe D'Amato Scénario : Joe D'Amato & Romano Scandariato Distribution :
Année : 1978 Synopsis : Emanuelle infiltre pour les besoins d’une enquête journalistique un hôpital psychiatrique où est internée une jeune femme aux tendances anthropophages. Le tatouage au dessus de son pubis pourrait-être la clé du mystère. La résolution de cet énigme conduit la journaliste à contacter le professeur Mark Lester. Emanuelle persuade l’universitaire de monter avec elle une expédition en Amazonie à la recherche d’une tribu de cannibale qui serait à l’origine de la marque. |
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Pour un archéologue, un trésor c’est à peu près tous ce qu’il trouvera sur un site de fouilles depuis la tombe pleines de bijoux et d’objets précieux jusqu’au dépotoir où repose pêle‑mêle tessons de poteries et os d’animaux. Si nous étions des archéologues du cinéma nous peinerions à voir en Emanuelle et les derniers cannibales autre chose qu’un amas d’ostraca et de reliefs alimentaires et pourtant nous serions ravis de cette découverte car elle nous en apprendrait beaucoup sur le cinéma populaire italien à son apogée, juste avant sa chute.
Explication, Emanuelle et les derniers cannibales de Joe D’Amato n’est pas une diamant, même brute et non taillée, du cinéma d’exploitation mais plutôt une monstruosité une créature de Frankenstein qui aurait été assemblée à partir de trois dépouilles. D’Amato pioche dans l’horreur, l’érotisme et dans l’aventure exotique couplé à cette spécificité italienne le mondo pour composer cette œuvre qui n’aurait pu voir le jour ailleurs qu’en Italie à la fin des années 70 et qui ne risquent pas d’être remaké de sitôt. Aucune relecture (post)moderne, bavarde, aseptisée et assommante ne viendra polire cette furie qui est comme un équivalent à ce que la musique des Stranglers à force de cynisme, d’évocation lubriques des adolescentes et de violences fit au rock.
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Cette aventure de l’Emanuelle noire du cinéma italien, nous y reviendrons, promis, est un film d’horreur qui exploite la veine qui était encore fraiche des films de cannibales. Ce filon est un avatar transalpin du film de morts-vivants marqué par une bonne touche d’exotisme tropicale, on songe au très moite L’Enfer des Zombies de Lucio Fulci et d’érotisme macabre. D’Amato reviendra à l’anthropophagie à lauré des années 80 avec le bien nommé Anthropophagous qui doit une bonne par de sa renommée à une scène culte. Emanuelle et les derniers cannibales n’est pas avar en scènes gores qui réjouiront les amateurs de meurtrissures charnelles et de sang qui coule. Les indigènes sont gourmands et il y a de la chaire fraiche au menu. Joe D’Amato ne fait pas mystère de ses intentions et les révèle dès l’ouverture de son film, hors champ une femme pousse un cri, à l’écran une infirmière sa blouse ouverte, sort d’une pièce, elle a l’un de ses seins en sang. On apprend que l’une des patientes lui l’a mordue. On ne fait pas plus clair comme note d’intention, le long métrage ne choisira pas entre érotisme et horreur, il mènera les deux frontalement même si on peut diviser le film en deux parties. La première relève de l’érotisme, la seconde, celle de la lutte contre les cannibales, est un survival gore.
L’érotisme, façon polie de parler sexe, irrigue le film. Le sexe est partout, il est souvent recherché et désiré, Laura Gemser dans le rôle d’Emanuelle, est une femme libérée et désirante, et parfois il est subi, la scène de viole collectif d’Isabelle Wilkes (Mònica Zanchi) entre son voyeurisme et sa violence crue est un des moments les plus éprouvants du long métrage. Autre moment où le sexe n’est pas pleinement consensuel, lorsque que notre héroïne masturbe la patiente entravée qui vient de mordre l’infirmière lubrique venue abusée d’elle comme c’était son habitude. Emanuelle dans cette scène ne s’embarrasse pas de consentement mais justifiera plus tard son comportement par sa volonté de calmer l’internée et d’essayer d’obtenir d’elle des informations. On vous laisse juge des méthodes peu orthodoxes de la belle Emanuelle.
Avant le déchainement de violence les scènes de sexe s’enchaînent et parfois elles servent à donner de l’épaisseur aux personnages, oui oui. Les époux Donald McKenzie (Donald O'Brien) et Maggie McKenzie (Nieves Navarro, vue dans Toutes les couleurs du vice) ne sont pas très satisfaits, madame ira prendre son pied auprès d’un noir musculeux, ce qui les tient ensemble c’est ce but commun qui les a amenés dans la forêt amazonienne. La scène lors de laquelle madame trompe monsieur après avoir longuement désiré celui qui sera son partenaire, nous révèle toutes les tensions au sein du couple McKenzie car inévitablement monsieur a surpris madame. La jeune Isabelle, fraichement sortie d’une institution religieuse, profite aussi de ces séquences érotiques pour nous en révéler un peu sur elle. Moins naïve qu’elle peut le laisser paraître la blondinette n’est pas insensible aux nombreux charmes d’Emanuelle, ce qui nous donne une jolie scène dans l’eau entre les deux femmes. Une scène troublée par l’arrivée d’un chimpanzé fumeur de clope dont on se demande ce qu’il fout dans la forêt amazonienne (le film a été tourné en Italie pour ceux qui se pauserait la question).
Ces couches de violences, de sexe et d’horreur, autant de concession à la modernité, à l’air du temps et à ce qui ferait peut-être venir les spectateurs dans les salles populaires, recouvrent une intrigue plutôt typique du film, et avant lui du roman, d’aventures exotiques avec indigènes pas commodes mais crédules et des blancs, des occidentaux, bien loin de la civilisation. Cette intrigue lie entre eux l’horreur et l’érotisme et fabrique la fragile cohérence entre ces deux éléments.
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Débarrassé de ces oripeaux à la mode des années 70, le gore et le sexe, que reste-t-il ? Une expédition menée par une journaliste, Emanuelle, et un anthropologue, le professeur Mark Lester (Gabriele Tinti, époux à la ville de Laura Gemser depuis 1976) en quête des derniers cannibales, d’une tribus amazonienne réputée disparue. Sans le gore et les scènes olé‑olé (comme disait ma grand-mère) Emanuelle et les derniers cannibales cela pourrait être du Jules Verne ou même une aventure de Tintin. Le dénouement et la façon dont Emanuelle se joue des croyances, d’aucuns parleraient de superstition, des sauvages m’a fait penser à la manière dont Tintin se sert d’une éclipse pour se sortir d’un mauvais pas dans la bande-dessinée Le Temple du Soleil.
L’alibi anthropologique ou ethnographique et l’aspect documentaire sont l’un des ressorts du film de cannibale et ce depuis Au Pays de l’exorcisme, d’Umberto Lenzi (Le Tueur à l’orchidée, Spasmo, Chats rouges dans un labyrinthe de verre…). Ce coup d’essai réussit aurait dû amener le réalisateur à tourner un autre film d’un goût voisin Le Dernier monde cannibale, qui sera confié à Rugero Deodato (celui de Cannibale Holocaust). Ce réalisme visuel ne sort pas de nulle part, ces réalisateurs sont des enfants du néo-réalisme italien d’après-guerre celui qui tourne dans les ruines de Berlin, ils sont aussi, le cinéma italien est la rencontre permanente du noble et de l’ignoble, dans la continuation du mondo, ce genre de documentaire plus ou moins fabriqué mais assez souvent racoleur et extrême.
Ces deux qualificatifs collent bien aux films d’anthropophages en général et à Emanuelle et les derniers cannibales en particulier, une production qui ne serait pas pareille si elle n’avait été réalisée par un stakhanoviste du cinoche populaire de la péninsule, Joe D’Amato, et si elle n’avait pu compter devant la caméra sur les attraits de la torride Laura Gemser.
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Joe D’Amato (1936-1999), né Aristide Massaccesi, touche à tout du cinéma qui est un directeur photo (Mais qu’avez-vous fait à Solange ? de Massimo Dallamano) passé à la réalisation. Le bonhomme a surfé pratiquement toutes les vagues du cinéma italien depuis ses débuts à la fin des années 60. On serait tenté de relever au milieu d’une filmographie pléthorique, qui s’acheva dans la pornographie, un attrait pour l’érotisme qui fait comme un fil rouge. Il y a sans doute un aspect mercantile la dedans mais aussi des soucis somme toute bien dans l’air du temps, pour le pire, parfois, et le meilleur, le plus souvent, les années 70 furent du moins en Occident une période de libération dont le cinéma de D’Amato se fait l’écho.
Pour le reste, la réalisation de Joe D’Amato pour Emanuelle et les derniers cannibales, on la jugera fonctionnelle la plupart du temps, elle arrive à entretenir l’illusion que nous sommes dans la forêt amazonienne. Les effets visuels ont le charmes désuets des productions à budget minimaliste diront ceux qui comme votre serviteur aime ça. C’est une réalisation qui brille dans sa façon de filmer les corps. A l’heure du porno disponible sur internet en quelques cliques, il y a un chouïa de désuétude dans cet érotisme doux mais il y a aussi là une mise en valeur de la chaire qui est plutôt sympathique - on ne parle évidemment pas de la scène de viole, qui est sordide comme il se doit. Au milieu de cette débauche Laura Gemser est une reine de l’érotisme, une vénus qui capte l’attention.
Laura Gemser naquit à Surabaya en Indonésie et est pour leur toujours parmi nous. A quatre ans, en 1955, elle quitta l’archipel pour les Pays-Bas, l’ancienne puissance coloniale, et la bonne ville d’Utrecht. Après des études dans la mode elle commença une carrière d’actrice qui la vit endossée en 1974 dans Amour Libre le rôle d’Emanuelle (avec un seul « m »), l’année suivante elle fut Black Emanuelle et aussi dans Emmanuelle : l’anti-vierge la masseuse très sensuelle de Sylvia Kristel, qui interprétait quant à elle le rôle titre. L’écrivaine Emmanuelle Arsan, née à Bangkok, en Thaïlande, qui est la mère de plume d’Emmanuelle, le personnage, ressemble plus à l’Indonésienne de naissance Laura Gemser qu’à la Néerlandaise diaphane Sylvia Krystel mais il y a plus de quatre décennies les bienheureux ignoraient tous du white washing. Singulièrement c’est elle, Emmanuelle Arsan, qui réalisa le premier traitement d’Au Pays de l’exorcisme le long métrage réalisé par Umberto Lenzi qui ouvrit la voie aux films de cannibales. Emanuelle et les derniers cannibale comme double hommage (même si bien involontaire) à Emmanuelle Arsan ? A vous de juger.
Laura Gemser est l’une des actrices fétiches de l’auteur de ces lignes quant il pense à l’exploitation italienne des années 70. La belle aux charmes exotiques n’est en la matière pas très loin d’une Edwige Fenech, la reine du giallo (L’Etrange vice de Madame Wardh, Les Rendez-vous de Satan, Nue pour l’assassin, Toutes les couleurs du vice…) pourtant elle n’était pas la plus talentueuses des interprètes. Gemser c’est plutôt qu’un grand jeu d’actrice expressif une très belle femme photogénique qui bouffe l’image, une qualité de mannequin. Elle n’est pas la plus grande des interprètes mais elle est cette femme indépendante qui désire et est désirée. Elle n’est pas pour autant qu’une belle plante et une potiche délurée, son personnage agit, parce qu’elle a très envie de faire l’amour (et que personne ne peut en la matière lui dire non) ou parce qu’elle a l’idée qui permettra de sauver la malheureuse capturée par les anthropophages.
Cet Emanuelle et les derniers cannibales est un long métrage typiquement italien et bien ancré dans son époque. Ce n’est pas un chef d’œuvre du septième art italien ni même, ce qui ne serait pas si mal, une perle rare ou oublié de l’exploitation transalpine mais plutôt un parangon de ce que la riche production italienne en cette fin d’année 70 pouvait proposer, pour attirer le spectateur en quête de frissons et de sensations fortes, de plus outrancier et outrageant. Il se peut que ce genre de spectacle ne soit pas de votre goût et toutes vos critiques seront pleinement justifiées. Pour ceux, en revanche, qui ont cette déraison qui les pousse vers ce type de péloches vulgaires et dévergondées, qu’ils sachent qu’ils passeront une heure et demi en compagnie de la magnifique Laura Gemser, qui est de presque tous les plans, d’autres belles représentantes de la gente féminine, de quelques beaux garçons aussi, et de cannibales très méchants et très superstitieux aussi.
R.V.
Vous n'êtes pas rassasiez et en redemandez encore. Plus d'anthropophages avec les western horrifique Vorace d'Antonia Bird et The Green Inferno, l'hommage amoureux d'Eli Roth au film de cannibales italiens.