La fiancée
de
Frankenstein
L’extrême solitude du monstre
Petit moyen mais gros succès commercial et critique, La féline de Jacques Tourneur est un classique du fantastique au cinéma qui illustre l’adage voulant que less is more
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Titre original : The Bride of Fankenstein
Réalisation : James Whale Scénario : Mary Shelley (une histoire suggérée par le roman Frankenstein ou le Prométhée moderne), William Hurlbut& John L. Balderston Distribution :
Année : 1935 Synopsis : La vie du docteur Henry Frankenstein semble reprendre son court normal, son monstre a été tué par les villageois en colère et il peut enfin vivre avec son épouse, l’accorte Elisabeth. Mais entre un Monstre qui refuse de mourir et un nouveau venu, le docteur Pretorius qui lui aussi cherche à percer le mystère de la vie, la quiétude maritale et la sereine tranquillité ne dureront guère et il lui faudra reprendre ses travaux impies car sa Créature revenue le hanter veux une compagne. |
A moins d’être un tout jeune enfant très impressionnable il est peu probable que La fiancée de Frankenstein vous fasse peur. Mais ce n’est pas grave puisque, réaffirmons-le, le cinéma d’horreur n’est pas qu’une affaire de peur, de frayeur, de terreur ou de chocottes. La peur est d’autant plus précieuse qu’elle est fragile et survit rarement au premier visionnage quant au passage des ans, dès lors que l’on empile les décennies, il lui est mortel. Pour qu’un long métrage fasse son nid dans la conscience du public et avec de la chance trouve sa place dans l’imaginaire collectif il faut d’avantage qu’une poignée de scènes chocs, de meurtres sanglants ou de tabous brisés – pensez à ces films scandaleux qui vus 20 ans plus tard vous laisse avec cette question : qu’avaient-ils de si choquant ?
La fiancée de Frankenstein ne fait plus peur car nous ne sommes plus le genre d’audience qui se laisse impressionner par un mannequin balancé d’une tour. Que l’idée d’une malheureuse innocente tuée pour son cœur ne nous fait plus frissonner qu’à grand renfort d’hémoglobine aussi rouge que factice. Il faut bien l’admettre les limites de ce qui étaient présentable en 1935 et de ce qui est montrable en 2019 ne sont pas les mêmes. Le rapport entre l’imaginaire et l’explicite a changé pourtant il y a une pérennité dans La fiancée de Frankenstein qui mérite d’être interrogé.
La fiancée de Frankenstein ne fait plus peur mais il est rentré dans notre imaginaire collectif tant et si bien qu’il n’est pas nécessaire d’avoir vu le film pour connaitre le look iconique de la Fiancée (Elsa Lanchester), sa coiffure qui évoque vaguement l’Egypte ancienne et ses mèches blanches en forme d’éclair sur les côtés. La Fiancée est aussi marquante que la Créature et ce sont imposés comme les représentations définitives qui éclipsent toutes les autres.
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L’aspect fantastique du film, sa part de merveilleux fonctionne encore bien, pensons aux hommes et aux femmes miniatures du docteur Pretorius (Ernest Thesiger). Le fantastique vieilli mieux que la peur pure et simple car il n’a pas à apporter la gratification immédiate d’un sursaut ou d’une grimace de répulsion. La fiancée de Frankenstein est un film gothique qui ne se distingue des productions de la Hammer que par l’absence de la couleur et le manque criant de pulpeuses aubergistes aux décolletés bien remplis, la censure a d’ailleurs fait couper les plans incluant une apparition trop frontale du décolleté de l’actrice Elsa Lanchester dans le prologue. Devant les miniatures de Pretorius Henry Frankenstein (Colin Clive) s’exclame que c’est de la magie noire doit-on filer la métaphore jusqu’à dire que cette magie c’est d’abord celle du cinéma ? Oui on le peut et on le refera. Car ces êtres miniatures (une reine et son roi, une sirène…) reste fascinant et on se demande comment on pouvait réaliser de telles trucages en un temps qui précède la création du premier ordinateur. La fiancée de Frankenstein se regarde comme un conte mis en image, la violence y est atténuée comparer aux canons contemporains mais il y a toujours cette étrangeté un peu déroutante et cette douce bizarrerie qui vous emporte dans un monde fait de savants fous et de leurs malheureuses créatures.
Lorsque Frankenstein a connu le succès en 1931, la Universal a décidé qu’il fallait une suite, certaines habitudes ont la vie dure, les suites ne sont pas une nouveauté de notre époque. James Whale, le réalisateur, se montra récalcitrant, s’il faisait une suite se serait pour apporter quelque chose de différent et faire mieux. Et il est tentant de se dire que c’était une bonne décision, qu’un Frankenstein II dans la foulée du premier n’aurait pas abouti au petit chef-d’œuvre de cinéma que nous avons sous les yeux.
Il y a une plaisante façon détalée sa culture en signalant mi-méprisant mi-pédant que « Frankenstein » est le nom du docteur-baron pas celui du monstre. Que Boris Karloff joue la Créature du docteur. C’est vrai, c’est factuellement ainsi que ça se passe mais la confusion est rendue possible par le fait que Henry Frankenstein n’est pas le héros de cette histoire, qu’il se fait voler la vedette par sa créature, c’est entendu depuis le premier film, mais aussi par le docteur Pretorius, ce nouveau venu qui est son double maléfique donc plus intéressant et plus aimable.
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Pretorius est un personnage luciférien quand il vient tenter un Henry Frankenstein fraichement repenti de ses errements passés depuis qu’il a épousé sa fiancée Elisabeth (Valerie Hobson) et un alter ego prométhéen au docteur Frankenstein qui comme lui veut arracher le secret de la vie à Dieu. Mais là où Henry est tiraillé entre son hubris et son envie d’une vie rangée, normale, bien dans les clous de la société bourgeoise, Pretorius est impénitent, il ne recherche ni le pardon, ni la rédemption, et anticonformiste. Un marginal, il a été chassé de l’université, avec un goût pour le macabre et l’humour noir, c’est dans un tombeau où il prend son encas qu’il croise pour la première fois la Créature. Pretorius est tout à la fois séduisant et inquiétant voire menaçant, en cela il a aussi un caractère démoniaque indéniable. Il n’est pas impossible de voir dans ce personnage l’une de ces figures d’homosexuel passées en contrebande. James Whale, le réalisateur, était homosexuel et la non-conformité de Pretorius à la société bourgeoise et son dédain pour la morale héritée du christianisme sont de possibles signes qu’il en va de même pour son personnage. L’excentrique docteur Pretorius est dans tous les cas l’une des attractions du film a côté du monstre et de sa fiancée (qui est à peine cinq minutes à l’écran) car personne ne regarde un Frankenstein pour le docteur. Si oui nous attendons vos témoignages.
Le secret de La fiancée de Frankenstein, un secret caché en pleine lumière, est que cette production hollywoodienne est un film anglais avec ça et là un peu d’Europe de l’Est (expressionnisme allemand et musique de Franz Waxman). Son réalisateur, ses acteurs (presque tous) et son inspiration sont britanniques. Une inspiration qui puise évidemment dans l’œuvre de Mary Shelley (qui est l’auteur de Frankenstein Ou le Prométhée moderne) mais aussi dans le théâtre de William Shakespeare. Le personnage de Minnie (Una O’Connor), une domestique de Frankenstein, est une transposition de ces personnages comiques qui à l’image de la nourrice de Juliette dans Roméo et Juliette. La comédie et l’humour sont mélangés à l’horreur, ils ne relèvent pas de l’intermède ou de la respiration drolatique. L’humour noir de Petrorius participe de la nature du personnage, un homme plein d’esprit mais pour qui la vie humaine n’a pas nécessairement un grand prix.
L’histoire du cinéma fabriqué à Hollywood c’est aussi l’histoire d’une industrie qui faisait venir du monde entier des talents qu’elle débauchait grâce à son argent. Quand vint l’heure du parlant les nababs hollywoodiens se tournèrent vers les gens du théâtre pour venir faire ce que les acteurs et réalisateurs du muet ne savaient pas forcément faire, jouer la comédie en disant du texte. Dans le monde anglophone l’association d’idée théâtre = Shakespeare = acteurs britanniques cela se fait tout seul. Ce charme anglais, cet humour pince-sans-rire qui émaille La fiancée de Frankenstein est pour beaucoup dans le charme du film.
Malgré les décennies, huit nous séparent de la sortie en salle de La fiancée de Frankenstein, et même si la peur pure est depuis longtemps éventée, ce long métrage est encore moderne. D’abord parce qu’il rend justice à Mary Shelley (Elsa Lanchester qui prête aussi ses traits et son jeu physique à la fiancée) qui est explicitement présentée comme une grande écrivaine, une créatrice originale. Mieux encore c’est le premier film qui fait de Mary Shelley un personnage de cinéma. Enfin il y a la bande annonce de Franz Waxman une inspiration pour Danny Elfman et un modèle de beauté et d’intelligence qui plus que d’illustrer ce que l’on voit à l’écran accompagne le récit avec des thèmes classiques, le menuet du prologue est charmant, tout en proposant des compositions qui sont d’admirables thèmes horrifiques sombres et violents qui collent admirablement aux personnages.
Pas plus que pour King Kong, La fiancée de Frankenstein n’est pas une case à cocher sur la liste des films à voir pour amateur d’horreur ou un devoir de cinéphile mais un plaisir de se plonger dans une œuvre d’une grande qualité (le Dark Universe de la Universal ne se serait pas magistralement ramassé s’ils avaient avant tout cherché à faire de bons films) qui a survécu aux outrages du temps. La fiancée de Frankenstein est de ces longs métrages cultes qui ont façonné notre imaginaire avec des images aussi iconiques que le look de la Fiancée et inspiré d’autres films (pour les plus évidents La fiancée de Chucky, La fiancée de Re-Animator), au moins une série télé, Code Lisa, elle même plus ou moins une adaptée de Weird Science de John Hughes, mais aussi des illustrations (une pensée émue pour la pochette de How to Make A Monster d’Electric Frankenstein), ou des clips (Imelda May, It’s Good to Be Alive) et tant d’autres choses qu’il est bon de revenir à la source.
R.V.