Fair Game
Il était une fois dans le bush
Fair Game est une découverte attachante, un petit budget qui fait plaisir et une œuvre mineure mais généreuse qui ravira les amateurs de thriller sous un soleil de plomb
Réalisateur : Mario Andreacchio
Scénario : Rob George Distribution :
Année : 1986 Synopsis : Jessica vit avec son compagnon, Ted, absent pour une conférence, dans un coin reculé de l’Outback australien. Leur propriété privée est une réserve pour la faune sauvage où la vie est douce dans ce paysage idyllique. Le quotidien de la jeune femme est perturbé par l’arrivée de trois chasseurs, un rien braconniers, qui lui feront vivre l’enfer mais Jessica n’est pas dépourvue de ressources.
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Les Australiens ont ce truc génial qu’ils appellent l’outback, des hectares et des hectares de terres a demi sauvages, plus ou moins désertiques et faiblement habitées, décors propice à toutes sortes de films. Les Australiens eurent aussi un cinéma d’exploitation vivace qui fut le fruit incongru des particularismes insulaires (les grands espaces vides susmentionnés, le culte de la bagnole, une faune différente avec ces bêtes qu’on ne voit nulle part ailleurs…) et d’incitations fiscales qui permirent, un temps, de déduire jusqu’à 150% de son investissement dans la production d’un film de ces impôts. Autrement dit les producteurs gagnaient de l’argent par le seul fait de produire un film. Cela ne dura pas et Fair Game arriva à la fin d’une époque celle de la déduction d’impôt comme subvention indirecte à la création cinématographique. Le cinéma populaire australien fut donc une aubaine fiscale pour certains et donna à d’autres l’opportunités de tourner des films qu’ils n’auraient pu faire autrement ce qui donna naissance à des films comme Mad Max et Crocodile Dundee sur lesquels flotte un parfum d’Australie qu’on ne retrouve évidemment nul part ailleurs.
Sur le papier Fair Game n’est qu’un petit film de vengeance comme il en existe des centaines qui voit une femme, rarement vilaine, se faire justice elle-même après que des hommes lui ont fait vivre l'enfer pourtant nous sommes à des années lumières du voyeurisme racoleur de ce qui a pu se faire dans les années 70 en Europe (le glaçant Thriller, Crime à froid) ou aux Etats-Unis, le crapoteux La Dernière maison sur la gauche ou I Spit on Your Grave avec la très belle Camille Keaton (Mais Qu’avez-vous fait à Solange ?). Le film s’attira pourtant les foudres des féministes australiennes principalement à cause de deux scènes dénudées. Des critiques qui incitèrent Cassandra Delaney, l’interprète de Jessica, l’héroïne de Fair Game, à monter aux créneaux pour défendre le film. Nous n’ouvrirons pas dans cette chronique la question sans fin de savoir si ce genre de film de vengeance féminine, comme dans un autre genre les Women In Prison, sont des films féministes ou pas du tout nous signalerons en revanche que cette anecdote est étonnante tant il y a ailleurs en matière des représentations de la femme qui sont autrement plus dérangeantes que ce qui est à l’écran dans Fair Game. Pour s’en convaincre il suffit de se reporter au précité Thriller qui avec ces inserts pornos et son héroïne martyrisée, incarnée par la toute petite, en taille, Christina Lindberg, agressée sexuellement dans son enfance puis à l'âge adulte par celui qui allait la prostituer.
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Rien de tout cela dans le long métrage de Mario Andreacchio. Fair Game repose moins sur l’exploitation sexuelle éhontée de son héroïne que sur l’exploitation de ces décors naturels, le goût pointé par Quentin Tarantino des Australiens pour les courses poursuites automobiles et une sauvagerie assez décomplexée qui n’épargne aucun personnage. Ce dernier point nous éloigne d’un thème cher aux cinéma U.S. qui aime à opposer le civilisé et le sauvage, avec le corolaire que si le premier veut survivre il doit devenir un peu du second. Fair Game a une autre logique puisqu’il oppose deux visions antagonistes de l’Australie sauvage avec d’un côté des chasseurs qui vivent au grand air et sont payés par les propriétaires terriens (des figures évoquées mais absentes du film) pour tuer des kangourous et de l’autre Jessica dont le domaine est une réserve naturelle privée. Les trois chasseurs sont Ringo, le plus jeune, Sparks, qui fait office de mécano, et Sunny, le chef, un vieux beau qui se donne des airs sophistiqués. La civilisation est loin, la seule représentation d’autorité croisée dans Fair Game n’est pas qu’inefficace, elle ne veut délibérément rien faire pour aider Jessica après la première rencontre de la jeune femme avec ces trois adversaires. Ce refus de déranger le juge pour si peu aura, on s’en doute de graves conséquences et sera la cause d’une lente mais continue montée aux extrêmes des deux partis.
Cette sauvagerie, ou plutôt cet ensauvagement, est admirablement montrée dès le générique au cours duquel le camion des chasseurs est filmé comme le serait quelque grosse bête, un prédateur naturel ou même un monstre. La première rencontre de Jessica et des chasseurs se fait sur une petite route lors d’une scène sous double influence spielbergienne puisqu’il y a là Les Dents de la mer (avec même un requin peint à l’arrière d’un camion qui ouvre grand sa gueule) et aussi Duel avec la voiture de Jessica dans le rôle de la proie. Le camion animalisé des chasseurs, surnommé par l’équipe de tournage the beast, est l’image même de la civilisation, l’automobile est le pur produit de l’industrialisation et pourtant ici l’engin relève moins de la mécanique que de l’animal. Ce n’est qu’une illusion de réalisation qu’Andracchio réussi avec des moyens réduits.
Le réalisateur à d’autres modèles que Spielberg. Ailleurs c’est le film Razorback qui peut servir de point de référence. Razorback est un trésor australien du genre menace animal qui voit un sanglier sauvage colossal semer sa zone dans l’outback. Ce sanglier a peut-être inspiré the beast mais est aussi un modèle pour la photographie de Fear Game avec ces nuits bleutées qui sont tellement années 80 et qui donnent une sensation d’étrangeté ainsi qu’une impression irréelle qui font le charme de ce genre de films. Cet aspect années 80, l’affrontement final l’illustre aussi avec ce goût de l’époque pour le bricolage mis au service de l’action et l’on pense à L’Agence tout risque ou à MacGyver devant le dispositif de défense créé par Jessica. Mario Andreacchio a délibérément mis en scène une violence de bandes‑dessinées qui là encore nous éloigne d’un certain cinéma d’exploitation européen comme américain qui misait sur le choc, l’outrance et le jeu avec les limites du montrable et du regardable.
Fair Game est un film à petit budget certes mais qui n’est pas dépourvu de générosité en matière de scène d’actions et de cascades. L’une d’elle a même fort bien pu inspirer Tarantino quand il place la cascadeuse Zoë Bell dans Boulevard de la Mort sur le capot d’une voiture. Moins racoleur qu’attendu Fair Game met en scène une vraie opposition entre l’héroïne et ses assaillants qui voit chaque camps échangé coup pour coup jusqu’à un dénouement en mode apocalypse de poche dans l’outback.
R.V.