Trauma -
Burnt Offerings
La maison a faim
Rareté des années 70, Trauma est un film de maison hantée hors‑norme qui vaut la (re)découverte
Titre original : Burnt Offerings
Réalisateur : Dan Curtis Scénario : William F. Nolan & Dan Curtis, d'après un roman de Robert Marasco Distribution :
Pays : Etats-Unis Synopsis : Les Rolf, Marian, son époux, Ben, et leur fils, David, ainsi que tante Elizabeth louent le temps d’un été une très grande maison pour un prix dérisoire à la condition de nourrir trois fois par jour une vieille femme qui vie recluse tout en haut de l’édifice. Le rêve se mue incidemment en cauchemar à mesure qu’il devient évident que le prix de cette maison en location ne se paie pas qu’en dollar.
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Avec Burnt Offerings (nous reviendrons sur ce titre original qui en dit plus sur le long métrage que sa version française qui est encore une fois à côté de la plaque) le réalisateur Dan Curtis, le créateur de Dark Sadows, la série portée sur grand écran par Tim Burton et dont on ne dira rien de plus pour ne pas être désobligeant pour le réalisateur autrefois tant aimé. Hélas pour Curtis, Trauma ne marcha pas en salles. Le film ne fut même pas projeté au cinéma en France, et le réalisateur retourna tourner pour la télé. Cet insuccès est rétrospectivement bien immérité mais hélas en la matière il n’est rarement question que de mérite. Le succès est bien injuste et très volatile. En découvrant Trauma après avoir vu The Haunting of Hill House, il est tentant de voir dans le film de 1976 une des influences de la série Netflix de 2018 car comme cela arrive souvent l’échec au box-office s’est lentement mué en ce fort ambivalent statut de film culte.
Trauma n’est pas le plus typique des films de maisons hantées ce qui expliqua peut-être en parti son échec public à en 1976 et pourquoi il conserve encore aujourd’hui cette curiosité, cette étrangeté qu’il avait à sa sortie. Pour ne pas trop divulguer l’intrigue on restera dans le vague mais on précisera tout de même qu’il n’y a pas de fantômes qui viennent tourmenter les vivants comme dans Poltergeist, que la chose dans la maison n’est pas d’une nature satanique, nous ne sommes pas dans les pénibles Conjuring, Annabelle et autre Nonne, ni n’est une entité inter‑dimensionnelle comme dans L’Emprise ou même l’esprit tourmenté d’un homme mauvais comme le simili Aleister Crowley de La Maison des damnés, d’ailleurs à la fin de Trauma on ne sait pas vraiment ce qu’est cette force qui possède la maison. Vous avez le choix de l’interprétation, ce que l’on comprend avec une acuité glaçante en revanche c’est comment la maison surpasse les outrages du temps et ce qu’il en coûte pour ses hôtes.
Ce que cette maison veut ce sont des offrandes et l’on en vient au titre original. Burnt Offerings, les offrandes brûlées, désignent les sacrifices faits à un dieu, voire à Dieu dans la Bible, et qui passent par la crémation de ce que l’on offre à la divinité qu’on souhaite honorer. Cette notion de sacrifice est crucial, bien plus en tout cas que celle de trauma reprise par le titre français. Bien sûr de trauma il en est question mais il est lié à l’enfance du père de famille et à la mort prématurée de ses parents. Ben Rolf, interprété par Oliver Reed (Gladiator, Venin, Les Aventures du baron de Munchausen…), est d’ailleurs le seul à voir un fantôme, l’inquiétant chauffeur (Anthony James) mais la grande demeure affecte différemment les humains qui y résident. Si Ben est renvoyé à la mort de ses parents alors qu’il était enfant, sa femme Marian, jouée par Karen Black (La Maison des 1 000 corps, Gatsby le magnifique, Nashville…) elle se mue en fée du logis et noue une relation fusionnelle avec la maison et puis il y a la tante Elizabeth. Le personnage, une femme âgée mais pleine de vie est incarné par Bette Davis, une actrice chevronnée qui s’était déjà illustrée dans les classiques du cinéma d’Hollywood que sont Eve de Joseph Mankiewicz ou Qu’est‑il arrivé à Baby Jane ? de Robert Aldrich où elle donnait la réplique à une autre grande dame Joan Crawford. La maison aura sur le personnage d’Elisabeth un effet aussi soudain que fatal.
Si Trauma est un film de maison hantée atypique il ne réinvente pas pour autant le genre de fond en comble. Sa structure est conforme au canon du genre avec sa progression assez lente, l’importance donnée à l’ambiance. Curtis prend le temps de planter son décors et de camper ses personnages. Le réalisateur nous lie à eux et nous immerge avec douceur dans le fantastique. C’est un film lent mais ça ne veut pas dire qu’il manque de rythme, les événements étranges et dérangeants viennent régulièrement percuter la vie des Rolf jusqu’à ce que dans la dernière demi-heure de film le doute ne soit plus permis mais il est déjà trop tard. Comme souvent la maison hantée révèle les fêlures d’un couple, d’une famille, les frustrations de chacun (sexuelle mais pas que, Ben a commencé une thèse qu’il n’a pas finie). Ce qu’il y a de mauvais dans les lieux profite des faiblesses des malheureux locataires qui s’installent entre ses murs et les retourne contre eux.
La réalisation n’est pas des plus démonstratives. Il n’y a pas beaucoup de ces plants étranges avec des angles de prises de vues déroutant ou ces cadres cassés qui signalent au public qu’il entre dans le bizarre. Dan Curtis ne manque pas pour autant d’imagination comme lorsqu’il monte en parallèle la scène de chahut dans la piscine entre père et fils qui tourne mal avec celle de la mère la tête ailleurs qui nettoie de vieilles photographies avec un abandon dérangeant. Curtis fait monter l’inquiétude en juxtaposant deux scènes qui se distinguent par le ton, violence d’un côté et la quiétude de l’autre, et par la forme le mouvement des baigneurs contre une femme statique aux mouvements mesurés de l’autre.
Il se dégage de Trauma une impression d’impuissance. Il y a une fatalité comme on n’en voit plus guère dans les productions hollywoodiennes. Et il y a le dernier plan du film qui nous renvoie au Shining de Kubrick (sortit quatre ans plus tard en 1980) mais on ne vous en dira pas plus pour ne pas vous gâcher la surprise finale d’une œuvre qui mérite d’être découverte.
R.V.