Hysteria
A la folie
Hysteria est un film de 2014 qui lutte pour ne pas tomber dans un très injuste oubli. Il n’est pas le seul, ils sont même nombreux mais cette fois c’est de celui-là dont on vous entretient et pas d’un autre.
Titre original : Eliza Graves
Titre alternatif : Stonehearst Asylum Réalisation : Brad Anderson Scénario : Joseph Gangemi d'après Edgar Poe Distribution :
Année : 2014 Synopsis : Le docteur Newgate vient compléter sa formation en faisant un stage dans l'asile de Stonehearst en Ecosse. Arrivé sur place il comprend que quelque chose ne va pas sur place et que ce n’est pas juste dû aux méthodes particulières de l’équipe médicale. |
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Quand une production récente est connue sous trois titres différents, son titre français, Hysteria, plus deux titres en anglais Eliza Graves (son titre original selon IMDb) et Stonehearst Asylum, on devine une distribution chaotique. En France ce long métrage dut se contenter d’une sortie en vidéo sans passer par la case salle de cinéma. Ce film réalisé par Brad Anderson (qui est surtout un réalisateur de séries télé) sur un scénario de Joe Gangemi (un épisode de la série anthologie Fear Itself titré « Spiritisme ») d’après la nouvelle « Le Système du docteur Goudron et du professeur Plume » d’Edgar Allan Poe avait semble-t-il d’autres ambitions que cette diffusion confidentielle. Pour preuve son faste qui saute aux yeux. Hysteria se présente sous les atours d’une belle reconstitution historique comme les Britanniques en ont le secret, décors et costumes sont d’une grande beauté même dans ce qu’ils ont de moches (tous les personnages ne passent pas un bon moment). Fastueuse également la distribution avec Kate Beckinsale (Selena d’Underworld), Michael Caine (la classe canaille londonienne dans sa jeunesse devenu avec le temps un vieil anglais raffiné) et Ben Kingsley (le polar Sexy Beast et ses vieux gangsters anglais sous le soleil d’Espagne) sans compté une poignée de seconds rôles qui participent de l’étrangeté et de l’inquiétude qui imprègnent ce film façon poupée gigogne avec son intrigue qui multiplie les retournements de situations. Tous ceci ne manque pas de panache et est réjouissant à voir.
Il y a là une injustice. Hysteria mérite mieux que son relatif anonymat. C’est injuste mais on peut comprendre que ce malheureux long métrage avait deux défauts majeurs au moment de sa sortie. Le premier est qu’il n’est pas assez réaliste, comprendre pas assez terne, sal et laid, pas assez misérabiliste, pour être un mélodrame historique en bonne et due forme. Hysteria n’est pas une plongée sans concession dans les errements de la psychiatrie balbutiante. L’autre défaut est qu’à l’inverse, pour bien des amateurs d’horreur, il n’est pas assez frontal dans sa violence pour ne pas être résolument à côté de la plaque en regard de ce qui faisait et fait encore dans le tout venant de l’horreur grand public au moment de sa sortie. Il y a peu de chance que cette production attire le public d’ados qui remplit les salles de cinéma qui diffuse de l’horreur. Ce n’est pas une critique, votre serviteur biberonné aux slashers dans la veine de Scream n’a pas beaucoup aimé L’Exorciste quand il l’a vu pour la première fois.
Hysteria n’est pas un film à la mode ni dans l’air du temps. Il n’est évidemment pas un found footage post Rec. Il n’y a pas de monstre généré par ordinateur pour susciter une horreur immédiate, pas non plus de jump scare, pas d’avantage de provocation scatologique (Human Centipede) ou de monter dans une violence extrême et démonstrative mais un hommage à la Hammer et à une certaine manière so british. Sorti un an après The Conjuring au succès fulgurant Hysteria est un animal très différent. Hysteria est un beau film gothique, cousin de La Dame en noir (de James Watkins, la série McMafia sur Prime avec Daniel Radcliffe) ou de Crimson Peak (de Guillermo del Toro). L’horreur dans Hysteria est en sourdine par rapport au canon de l’époque. Pire encore elle est un pur produit de la société humaine. Le mal n’est pas l’œuvre de fantômes mal lunés ou de puissance démoniaque par définition malveillante mais d’êtres humains qui en font souffrir d’autres notamment, et c’est particulièrement peu agréable, au nom de la science.
Malgré les coups Hysteria de théâtres de son intrigues un film honnête et qui dissimule peu de choses. Il y a par exemple ce personnage, l’aliéniste (l’imposant Brendan Gleeson) un honorable psychiatre, les esprits mal placés seraient tentés de voir en lui un sal type qui profite d’alibis scientifiques pour se livrer à des attouchements sur l’accorte Eliza Graves (incarnée par Kate Bekinsale), nous révèle d’entrée ou presque et en une simple phrase la clé d’Hysteria, « Ne croyez rien de ce que vous entendez, et ne croyez qu’à moitié ce que vous voyez ». Les personnages mentent et ce que nous voyons n’est pas complétement fiables. On ne fait pas plus clair avec cette citation qui provient mot pour mot de la nouvelle de Poe. Le long métrage est si honnête que le grand secret qui n’est explicité qu’à la fin est pourtant exposé en ouverture, une simple question de caméra subjective. Comme quand Dario Argento dans Les Frissons de l’angoisse nous révèle sans que nous y prêtions attention l’identité du meurtrier, Brad Anderson joue avec son public et son incapacité à comprendre l’importance d’un détail apparemment anodin.
Le film a pour lui une petite mécanique bien huilée dont l’aspect convenu, ce que nous croyons être vrai en tant que spectateur, renforce l’effet recherché, une perte de repère, le brouillage du vrais et du faux, de la folie et de la santé mentale, par ses retournements de situation. Une mécanique bien rodée qui inclut un lieu isolé, quelques vilains secrets et un mal à vaincre, en l’occurrence une certaine psychiatrie qui produit des monstres et pas seulement chez les malades. Une mécanique conventionnel qui ne rend que plus surprenant et divertissant les surprises que le film nous réserve.
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Il n’y a pas de méchant total et absolu à part le très détestable Mickey Finn (David Thewlis) et la lutte entre Michael Caine, Benjamin Salt, et Ben Kingsley, Silas Lamb, est d’autant plus intéressante et intrigante qu’ils sont chacun à tour de rôle bourreau et victime sans qu’on puisse déterminer lequel est le pire monstre. Il y a un lien entre l’exercice du pouvoir et leur capacité à nuire mais ce n’est pas tout. Le pire mal n’est‑il pas infligé au nom du bien ? Le point faible apparent du film réside dans sa difficulté à faire vivre son héros, le docteur Newgate. Son interprète, Jim Sturgess, se trouve coincé entre la triplette Beckinsale-Kingsley-Caine et il n’est pas simple d’exister d’autant que le personnage est flottant. Il n’a pas la profondeur apparente des autres protagonistes principaux, une superficialité que le film justifie et qui sert aussi à aider l’identification du public. Newgate est ce personnage candide qui arrive dans un lieu dont il ne connait rien. Un endroit qui se révèle de plus en plus étrange à mesure que l’intrigue et donc ses découvertes progressent. Newgate est la perspective du public mais qu’advient-il quand ce point de vue n’est pas complétement fiable ?
Hysteria, Stonehearst Asylum ou Eliza Graves appelez-le comme vous le souhaitez est un long métrage envoutant au charme capiteux qui est encore meilleur lorsqu’on le revoit et que nous sautent aux yeux ces détails importants qui nous avaient échappé de prime abord. Un film tout en retenu parfait entre deux orgies de violence. Hysteria aurait pu aussi être un film lourdement à thèse, ce qu’il n’est heureusement pas ce qui ne l’empêche en rien d’avoir néanmoins un point de vue sur la folie, la santé ou la maladie mentale.
R.V.