King
Kong
La Belle & la Bête
Un film séminal qui en a engendré des milliers d’autres (nous les avons comptés) et qui a imposé des motifs de cinéma encore valable aujourd’hui tout en étant à l’origine d’une figure du septième art pur création du XXème siècle.
Réalisation : Merian C. Cooper & Ernest B. Schoedsack
Scénario : James A. Creelman et Ruth Rose, d'après une idée de Merian C. Cooper et Edgar Wallace Distribution :
Année : 1933 |
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Synopsis : Carl Denham, un réalisateur sans scrupule, se prépare à tourner un film exceptionnel. Pour se faire il embarque de vieux loups de mer, une équipe de tournage, une poignée d’aventuriers et la jeune et jolie figurante Ann Darrow pour une destination mystérieuse.
Il y a des films que l’on connaît sans les avoir vus. Le King Kong de 1933, est de ceux-là parce qu’il enfanta d’une figure iconique qui s’est imposée dans la culture populaire, Kong. En une série de vignettes le film de Merian C. Cooper et Ernest B. Shoedsack s’impose comme un mètre étalon. Kong qui affronte un tyrannosaure. Kong qui grimpe sur un building en tenant dans la main une frêle femme blonde. Kong qui se bat contre des avions. Ces images, ces scènes nous les avons tous en tête et plus fondamentalement encore des générations de cinéastes les ont eu aussi dans le crane quand ils ont fait leur propre long métrage. Mais avant d’en venir à l’impact de ce film sur le cinéma et dans la culture populaire penchons-nous sur le film lui-même qui pourtant n’est peut-être plus autant regarder qu’il le faudrait.
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Malgré cela il ne faut pas non plus perdre de vue que King Kong, réalisé par deux vétérans du cinéma d’aventure (l’excellente première version des Quatre plumes blanches), est un film qui en son temps était réservé à un public d’adulte et ce n’était pas seulement dû à quelques images suggestives de la ravissante Fay Wray mais bien parce que la colère de Kong qui ravage un village indigène avec le même allant que Manhattan était de nature a choqué le public. Au début des années 30 à l’heure ou des ligues de vertus se battaient pour préserver la moralité sur le grand écran ce film était un spectacle choquant car violent et érotique (comme le temps passe).
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Singulièrement ce qui marque le début du film c’est son ton réaliste, le film a pour toile de fond la Grande Dépression et la misère qui s’abattit sur de nombreux Américains, c’est la faim qui pousse Ann Darrow (Fay Wray) a volé une pomme. C’est le manque de travail au moins autant que la perspective d’un voyage exotique qui la pousse à accepter l’offre d’un réalisateur sans scrupule. Cette façon d’encrer le film dans une réalité américaine contemporaine, à la différence d’un Frankenstein ou d’un Dracula écho lointain d’une Europe archaïque a dû en renforcer l’impact sur l’audience, l’horreur pouvait être contemporaine.
Evidemment le film ne fait plus peur plus de quatre-vingts ans après sa sortie. Aujourd’hui le moindre spectateur non féru d’épouvante a vu pire ailleurs. L’effroyable histoire du roi Kong est devenue un conte qu’on peut montrer aux enfants. Voir ce film des années 30 ce n’est pas comme monter dans une machine à remonter le temps, on ne peut pas retrouver les sensations des gens qui virent pour la première fois King Kong. Regarder ce film plus de huit décennies après sa sortie c’est découvrir en germe certains thèmes et motifs qui sont encore des figures imposées du cinéma de genre (action, aventure, fantastique, films catastrophe…). Kong est la première créature titanesque à semer le chaos dans une grande métropole moderne. Sans lui pas de Godzilla ou même plus généralement de Kaijū eiga nippon. A chaque fois que dans un film un méchant quel qu’il soit (créature titanesque, super vilain, terroriste…) s’en prend au métro et fait mumuse avec les rames au mépris de la santé et de la sécurité des usagers, il rejoue la geste tragique du roi Kong.
La postérité cinématographique de King Kong n’est pas la seule chose que le film a à nous dire à nous autres spectateurs du XXIème siècle. La réalisation s’appuie sur une mise en abime intéressante. Dans les premiers temps du film, le réalisateur Carl Denham tourne des essaies caméras avec sa vedette sur le pont du bateau en rooute vers Skull Island. Comme une ébauche de l’approche méta des films de notre temps Ann Darrow/Fay Wray joue sa future rencontre avec Kong avant qu’elle n’ait lieu et pousse son premier cri non pas en tant que victime mais en tant qu’actrice qui joue la victime. La première scream queen de l’histoire du cinéma pousse son premier hurlement non pas parce qu’elle est en danger mais parce que son réalisateur le lui demande. King Kong commence comme un film filmant des gens en train de tourner un film. Ce long métrage joue déjà avec des conventions, celle du cinéma d’épouvante, qui n’existaient pas encore vraiment, ou à peine, King Kong arrive deux ans après le Dracula de Todd Browning et le Frankenstein de de James Whale. Ces deux films primordiaux sont des adaptations d’œuvres littéraires du siècle précédent, King Kong est un projet original, Kong n’existait pas avant sa première apparition sur grand écran.
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Ce film offre aussi une peinture corrosive de la cupidité et de l’orgueil humaine. C’est l’esprit de lucre qui pousse Denham à prendre tous les risques pour capturer le singe géant et le ramener avec lui à New York. C’est le sentiment de toute puissance du civilisé qui triomphe de tout même des forces de la nature. La fin pathétique de Kong si elle n’arrache pas forcément de larmes au spectateur vient parachever une réalisation qui petit à petit fait naître de l’empathie pour cette figure solitaire en constante lutte pour sa survie (avant qu’il n’ait été capturé Kong se bat contre un genre de tyrannosaure, une créature monstrueuse et cauchemardesque et manque de se faire dérober Ann Darrow par un simili dinosaure volant ! Même la violence dont il fait preuve est souvent due aux nécessités de l’autodéfense. Grace à certains gros plant sur le visage de Kong on perçoit certaines des émotions du grand singe qui n’est pas qu’une brute.
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Regarder King Kong ce n’est pas qu’une affaire d’archéologie cinématographique, ce n’est pas simplement visité un monument grandiose du temps jadis, ce n’est pas d’avantage un devoir de mémoire cinéphilique c’est tout simplement (re)découvrir une œuvre qui a toujours des choses à nous dire pour notre présent. King Kong c’est une parabole écologique sur la façon dont les humains exploitent la nature et bien d’autres choses encore comme l’objectification du corps de la femme (Carl Denham a choisi Ann Darrow parce qu'elle était belle et qu'il avait besoin d'une jolie fille), le rapport à l’autre animal mais aussi humain (les indigènes de Skull Highland sont guère mieux lotis que Kong). King Kong nous parle même de la quête de la célébrité ou de ce que vous voudrez bien y trouvez. Ce vieux film c’est tout simplement ce que vous voudrez qu’il soit. En tout les cas il fera un bon compagnon.
R.V.