L'emprise des ténèbres
Le vaudou du dictateur
Délaissant Freddy, le croque-mitaine grand-brûlé, Wes Craven plonge avec L’emprise des ténèbres le spectateur dans un cauchemar haïtien entre magie noire et sévisses des tontons macoutes
« Haïti est à 85% catholique et à 110% vaudou. » |
Titre original : The Serpent and the Rainbow
Réalisateur : Wes Craven Scénario : Richard Maxwell & Adam Rodman, inspiré du livre de Wade Davis Distribution :
Pays : Etats-Unis |
Synopsis : Dennis Alan est un anthropologue qui après un séjour en Amérique du sud se retrouve mandaté par une compagnie pharmaceutique en quête d’un nouveau anesthésique qui voit dans la poudre à zombie un moyen de faire avancer la recherche. Débarqué en Haïti alors que le pays est secoué par des troubles politiques, Alan fait la rencontre de Marielle Duchamp une psychiatre qui sera son guide dans la découverte d’Haïti et du vaudou, la religion du pays.
Wes Craven donc. En 1988 le réalisateur œuvre dans le cinéma d’horreur depuis presque quinze ans. De son premier méfait, le glaçant La dernière maison sur la gauche (1972), qui n’est pas vraiment le genre de films qu’on regarde pour se détendre et passer un bon moment, à la création de Freddy dans Les griffes de la nuit (1984) la carrière de Craven dans l’épouvante l’a établi comme une valeur sure aux côtés d’un John Carpenter. Pour Wes Craven ces années sont une période faste, il tourne beaucoup plus (cinéma et télé) qu’au court de la décennie précédente et le réalisateur s’ingénie à renouveler sa cinématographie car si Les griffes de la nuit est un long métrage qui s’inscrit dans le genre du slasher L’emprise des ténèbres est un tout autre animal.
Inspiré du livre The Serpent and the Rainbow, écrit par Wade Davis, le long métrage de Wes Craven est une plongée dans un cauchemar éveillé dans lequel l’horreur surnaturel le dispute à celle bien réelle et concrète de la dictature Duvalier en Haïti et des exactions des tontons macoutes - littéralement les tontons de la campagne, à l’origine un genre de croque-mitaine haïtien devenu à l’époque de François Duvalier, dit Papa Doc, une milice au service de la dictature. L’emprise des ténèbres est comme un retour au source pour la figure du mort-vivant, le zombie s’en revient dans son île natale dans un film qui fait comme si George Romero n’avait jamais existé, comme s’il n’y avait rien entre Vaudou de Jacques Tourneur et le film de Craven. C’est évidemment un raccourci, si Craven s’éloigne des morts-vivants de Romero ou de ceux d’un film comme Le retour des morts-vivants c’est qu’il a une toute autre histoire à raconter. Il semble que dans la tradition haïtienne, le zombie est pu-t-être une métaphore de la condition d’esclave, il est vivant mais son corps ne lui appartient pas, il doit obéir à la volonté d’autrui, c’est un humain privé de sa volonté propre ; toutes choses effroyables pour les Haïtiens.
Haïti est plus qu’un décors exotique pour le film de Wes Craven. Haïti n’est pas non plus une carte postale ésotérique pour fantasme d’occidentaux en quête de magie noire. Haïti est un pays qui souffrait sous le poids d’une dictature brutale et cette fois le zombie ce n’est plus l’esclave mais l’Haïtien privé de sa liberté par Bébé Doc, Jean-Christophe Duvalier, le fils de Papa Doc, et ses sbires incarnés par le personnage de Dargent Peytraud (Zakes Mokae), le chef des tontons macoutes qui se serre des zombies comme d’un outil de terreur contre la population en ciblant les opposants. Avec ce long métrage Wes Craven donne à l’horreur une origine qui n’est pas familiale (ce qui est souvent le cas dans le slasher, dans Les griffes de la nuit les enfants paient pour les crimes des parents, Freddy fut une victime avant d’être un monstre), les racines de l’épouvante sont ici politiques, c’est le régime Duvalier qui permet à l’horreur de s’épanouir. L’emprise des ténèbres réussit l’union de l’horreur fantastique et de l’horreur politique de la répression d’un régime dictatorial.
Haïti est plus qu’un décors exotique pour le film de Wes Craven. Haïti n’est pas non plus une carte postale ésotérique pour fantasme d’occidentaux en quête de magie noire. Haïti est un pays qui souffrait sous le poids d’une dictature brutale et cette fois le zombie ce n’est plus l’esclave mais l’Haïtien privé de sa liberté par Bébé Doc, Jean-Christophe Duvalier, le fils de Papa Doc, et ses sbires incarnés par le personnage de Dargent Peytraud (Zakes Mokae), le chef des tontons macoutes qui se serre des zombies comme d’un outil de terreur contre la population en ciblant les opposants. Avec ce long métrage Wes Craven donne à l’horreur une origine qui n’est pas familiale (ce qui est souvent le cas dans le slasher, dans Les griffes de la nuit les enfants paient pour les crimes des parents, Freddy fut une victime avant d’être un monstre), les racines de l’épouvante sont ici politiques, c’est le régime Duvalier qui permet à l’horreur de s’épanouir. L’emprise des ténèbres réussit l’union de l’horreur fantastique et de l’horreur politique de la répression d’un régime dictatorial.
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Mais Wes Craven n’assène rien, il n’est pas un professeur de science politique ou de philosophie morale, L’emprise des ténèbres n’est pas un court magistral, c’est un film de genre dont le but est aussi de distraire sans pour autant empêché la réflexion. On peut donc voir ce long métrage seulement comme un mauvais trip, rythmé par les visions hallucinées d’un Bill Pullman, dans le rôle de l’anthropologue Dennis Alan, réalisé avec un réalisme dépourvu d’effets psychédéliques. Ce réalisme accentue l’horreur de ce qui arrive au héros et brouille la frontière entre réel et irréel. On pense à cette scène dans le dernier tiers du film qui voit un diner mondain aux Etats-Unis prendre un tournant d’autant plus inattendu que rien dans la réalisation vient nous prévenir que ça va partir en sucette, à part un détail qu’on se gardera bien de vous révéler ici. Cette frontière floue est comme un clin d’œil à la littérature fantastique du XIXème siècle qui aimait mettre en scène des personnages tiraillées entre la science positiviste (Bill Pullman travaille pour un labo pharmaceutique), le progressisme ainsi que le rationalisme et d’autre part l’inconnu et le mystère d’un monde qui échappe à l’entendement. Le personnage de Bill Pullman, malgré ses expériences, rejette cette part de mystère, au contraire du docteur Marielle Duchamp qui parce qu’elle est née en Haïti cherche à concilier la religiosité de son petit pays avec la science. C’est un personnage complexe qui offre une contrepoint à la vision très occidentalo-centrée de Bill Pullman.
L’emprise des ténèbres est un film riche qui aborde des sujets peu présents dans le cinéma d’horreur à commencer par la dictature et ses horreurs bien trop réelles. Le mal parfois n’est pas qu’une affaire intra-familial, l’histoire d’un quartier pavillonnaire ou d’une petite ville comme c’est le plus souvent le cas dans l’horreur au cinéma, il arrive parfois qu’il emporte tout un pays c’est de ça dont Wes Craven nous parle dans ce film à (re)découvrir même si trente ans après certains effets visuels accusent le poids des ans mais le fond écrase ces petites imperfections de la forme.
R.V.