Candyman
Le miel et les abeilles
Loin des productions d’exploitations à petit budget Candyman est un film ambitieux tant thématiquement (racisme et ségrégation ce genre de choses) que stylistiquement (la beauté des images et cette B.O.). Pire encore 25 ans après ce film de Bernard Rose reste affreusement contemporain
Titre original : Candyman
Réalisation : Bernard Rose Scénario : Bernard Rose d'après The Forbiden de Clive Barker Distribution :
Année : 1992 |
Synopsis : Helen Lyle prépare une thèse sur les légendes urbaines quand elle croise celle de Candyman, le tueur au crochet qui terrorise le project de Cabrini-Greene à Chicago. Sceptique l'enquête qu'elle mène la conduira dans cette cité sinistre de Chicago et la confrontera à un tueur aussi tragique qu'implacable.
Commençons je vous prie par un intermède autobiographique (promis ça ne deviendra pas une habitude) Candyman n’est pas vraiment sorti en catimini en France en 1993 et je me souviens très bien de la pub qui passait sur la bande FM (Skyrock ou Fun radio). Je me souviens avoir appelé Candyman devant le miroir de la salle de bain. Je me souviens aussi que j’étais trop jeune pour aller voir ce film en salle c’est donc beaucoup plus tard que je découvris le film dont on va parler tout de suite après un saut à la ligne.
Adapté du roman The Forbiden de l’auteur britannique Clive Barker, spécialiste de récits fantastiques et horrifiques où la mort, la souffrance et le plaisir font bon ménages (Hellraiser), Candyman américanise le propos. Cette américanisation donne au film un souffle qui dénote au milieu du reste de la production d’épouvante U.S. de l’époque. Hormis chez John Carpenter ou dans les intentions premières lors de la création de Chucky l’horreur comme le fantastique aux Etats-Unis se mêlaient alors rarement de politique ou même de questions sociales. Candyman est le mariage réussi de l’horreur surnaturelle sanguinolente et de l’horreur sociale, celle qui nous rappelle que nous ne vivons pas au paradis et que l’homme est trop souvent un loup pour l’homme.
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Candyman n’est pas que le film avec le premier croque-mitaine afro-américain. Le Candyman (Tony Todd) de la légende urbaine qui sème la mort et la terreur dans la cité de Cabrini-Greene (un véritable ghetto de Chicago) n’est pas qu’un Freddy Krueger à la peau noire, même s’il est plus proche de lui que de Jason Voorhies (la série Vendredi 13) ou de Michael Myers (le tueur d’Halloween). C’est que Candyman est un film qui parle de racisme et de ces effets : la ségrégation, la pauvreté voire la misère, l’indifférence et la criminalité. Bernard Rose qui en plus de la réalisation a aussi signé le scénario est assez intelligent pour ne pas dire au spectateur que le racisme c’est mal, il nous montre juste ces effets avec froideur. Et les extérieurs tournés dans un project de Chicago font peur tant ce n’est pas le genre d’endroit où l’on irait se balader même en plein après-midi car là-bas (on espère que le quartier à changer en mieux depuis le tournage) le mal n’est pas une chose tapie dans la cave ou qui attend la nuit pour se manifester, il est là, présent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Cabrini-Greene et la tour dans laquelle niche Candyman sont plus inquiétant que n’importe quelle banlieue pavillonnaire vue dans un slasher (depuis Halloween, la nuit des masque à Scream).
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Alors certes Candyman comme Freddy ont une dimension tragique mais le tueur au crochet tient davantage de Dracula que des massacreurs d’ados en série du slasher états-uniens. Le hasard a d’ailleurs voulu que le film de Bernard Rose soit le contemporain de celui que Coppola a tourné sur le vampire des Carpates. Les deux personnages sont étrangers à la société bourgeoise blanche, Dracula parce qu’il est une survivance de l’ancienne aristocratie féodale, Candyman parce qu’il est le fils d’un esclave et la réussite économique de son père ne peut rien y changer, un noir ne peut pas épouser une blanche. Comptez sur vos doigts le nombre de couple homme noire et femme blanche que vous connaissez au cinéma et à la télé ? Bien sûr on ne compte pas Devine qui vient diner… Vous n’en trouverez pas dix (si vous en trouvez plus faîtes le nous savoir sur notre page Facebook). Les deux êtres maléfiques sont beaux, élégants même et ils partagent aussi un genre de pouvoir hypnotique particulièrement efficace sur la gente féminine. Les abeilles de Candyman font penser aux chauves-souris de Dracula. Surtout Helen Lyle (Virginia Madsen) est la Mina Harker de Candyman, la belle dont le monstre s’éprend et qui finit par partager un peu de sa monstruosité sans tout à fait le rejoindre pour autant.
Candyman n’est pas en quête de vengeance, ce qu’il recherche c’est l’immortalité par-delà la tombe. Il ne veut pas être oublier. « Crois-en moi. Sois ma victime. » dit-il à Helen Lyle.
Le long métrage tranche aussi avec nombre de production d’épouvante par ces ambitions esthétiques et artistiques. Candyman pourrait n’être qu’un bon film d’horreur que nous serions ravis mais voilà c’est un bon film tout court. Dès son générique avec sa vue aérienne et ça musique de Philip Glass on se dit qu’on ne va pas voir un petit film tourner à la va vite juste pour faire de l’argent et profiter d’une mode. Dailleur parlons en un peu de cette bande originale, elle déjoue deux écueils. Le premier elle ne tient pas le spectateur par la main, elle ne dit pas quand avoir peur. Par contre elle participe de l’immersion dans un monde cauchemardesque où un tueur armé d’un crochet peut apparaître si on l’appelle cinq fois devant son miroir. L’autre écueil évité par la bande originale est celui d’une musique dans l’air du temps, on aurait pu imaginer une bande originale sous influence hip hop pour coller au décors, au risque de faire ton sur ton. Au risque aussi de faire vieillir le film prématurément. La musique de Glass est solennelle et gothique (l’orgue) mais aussi romantique, d’un beau romantisme noir,(le troublant thème au piano pour Helen Lyle).
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La réalisation de Bernard Rose est efficace et sait donner aux décors un aspect inhospitalier, le quartier de Cabrini-Greene, ou simplement étrange, la vue aérienne de l’université et la symétrie du bâtiment. Les décors intérieurs parviennent à greffer dans un environnement urbain de la deuxième moitié du XXème siècle un esprit qui renvoie au cinéma gothique européen des années 60 plein de vieilles demeures délabrée pâle reflet des splendeurs passées. La grotte où se cache Candyman, creusée dans la tour même est une réussite. Elle possède les qualités minérale et la pourriture qui sied au repère d’un être maléfique. Elle est aussi comme l’inconscient du quartier, son refoulé. Le refoulé de Chicago.
Voilà, nous aimons Candyman. Ajoutons en manière de conclusion que le film à bien vieilli, ses effets spéciaux sont discrets, les maquillages font toujours effet et l’usage de vraies abeilles s’avère un choix judicieux, surtout Bernard Rose ne se laisse pas aller au spectaculaire pour le plaisir de faire des images choc, il sait ne pas tout montrer et laisser de la place pour que l’imagination du spectateur fasse son travail. La réalisation mesurée et la force du scénario confèrent à Candyman ce malgré les décennies une puissance que le temps n’est pas encore parvenu à éteindre.
R.V.