Severance
Team building de la mort
Le deuxième film de Christopher Smith est méchant et drôle
Réalisation : Christopher Smith
Scénario : James Moran (histoire) & Christopher Smith Distribution :
Année : 2006 Synopsis : Lorsque des employés de l’entreprise Palisade, un fabriquant d’armes, partent pour un banal voyage de team building en Europe central dans le tout nouveau chalet de la société ils ne s’attendent pas à ce qu’un passé peu glorieux mais particulièrement vindicatif les rattrape. |
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Christopher Smith est de ces réalisateurs britanniques qui secouèrent le cinéma d’épouvante avec des films qui laissèrent de côté l’ironie post-moderne popularisée par Scream tout autant que certaines des facilités des found footages qui pullulèrent après Le Projet Blair Witch. Cette vague britannique qui ne peut être associé à un genre précis fut impulsée en 2002 par les sorties de 28 jours plus tard de Danny Boyle (qui n’était plus un débutant depuis longtemps, Petits meurtres entre amis remontait déjà à 1994) et Dog Soldiers la première réalisation de Neil Marshall (The Descent). Deux coups magistraux qui remirent avec éclat sur la carte mondiale de l’horreur le pays de la Hammer. Smith arriva un peu après ces coups d’éclats avec en 2004 Creepy (Franka Potente poursuivie dans le métro londonien par une créature) puis revint en 2006 avec ce Severance qui nous occupe présentement.
Le cinéma d’épouvante, sans forcément qu’on en vienne au cinéma engagé à l’état pur, aime à mettre en scène l’horreur économique. Ailleurs sur ce site nous chroniquons Mayhem – Légitime vengeance un film postérieur à la crise de 2008, dans lequel le vrai monstre est moins le virus qui pousse les gens dans des accès de rage homicide mais un cabinet d’avocats au service d’intérêts financiers qui menace de broyer la vie de Melanie (Samara Weaving). La réalité économique est plus effrayante que bien des monstres de cinéma car ses effets sont plus ancrés dans notre quotidien que ne le seront jamais les sévices de Dracula, les métamorphoses en loup-garou, les méfaits de Freddie ou les carnages de Jason Voorhees et de Mike Meyers. On n’ira pas jusqu’à écrire ici que Severance dénonce le système économique, ce serait aller vite en besogne, pourtant entre le regard moqueur sur le management (c’est pour faire du team building que les futures victimes du film sont venues dans un coin reculé d’Europe central entre Serbie et Hongrie) et celui plus acerbe porté sur une compagnie qui ne se laisse pas étouffer par des états-d’âmes le regard de Christopher Smith ne témoigne pas d’une tendresse particulièrement pour les rouages d’une entreprise dont le travail est de vendre des outils de mort. Smith est plus tendre pour ses personnages sans être complaisant non plus.
Ce qui fait le vrai attrait de Severance n’est pas dans son propos mais dans la façon dont le long métrage mélange humour et horreur. Plus précisément comment il fait évoluer l’humour pour que celui-ci ne nuise pas à l’épouvante qu’il cherche aussi à communiquer au public. On passe d’une ambiance de comédie de mœurs et sociale drôle parce qu’elle renvoie à des archétypes qu’on a tous eu le (dé)plaisir de croiser lors de sa vie professionnelle à un gore poisseux et ses éclats de rires aussi francs que nerveux. Là où un film comme Tucker & Dale fightent le mal est de bout en bout essentiellement une parodie de film de survie sans rupture de ton, Severance prend le pari d’un changement de ton évolutif mais qui est mis en image de façon éloquente dès son ouverture.
Severance c’est la proverbiale douche écossaise. On commence par être jeté dans l’eau glacé de l’horreur avec une séquence pré-générique qui fait mal avec la mise à mort d’un personnage, George (David Gilliam), dans les bois puis on tourne le robinet et c’est la chaleur de la comédie qui mord la peau. Le générique entre vidéo d’entreprise (où l’on retrouve George bien vivant louant les mérites de Palisade) et « Itchykoo Park » des Small Faces sert à présenter les personnages certains relèvent de la comédie pure, on se demande ce que Steve joué par Danny Dyer avec sa consommation de drogues et les accortes escorts qu’ils commandent sur internet fait au milieu de ces employés d’un fabriquant d’armes. D’autres semblent plus à leur place comme Harris (Toby Stephens, le capitaine Flint de la série Black Sails), le subordonné qui a fait ses études à Cambridge et est sûr d’être mieux que son supérieur Richard (Tim McInnerny), Bill (Babou Ceesay) est son assistant diligent alors que Gordon (Andy Nyman) est le collègue qui déborde d’entrain et de bonne volonté au point d’en être un peu agaçant parfois sans être complétement antipathique pour autant. Côté personnages féminins il y a un beau contraste entre Jill (Claudie Blakley) une ingénieure idéaliste qui travaille sur des mines non léthales et non mutilantes et qui s’offusque du manque de personnes de couleurs dans le vidéo d’entreprise diffusée dans le car et sa collègue Maggie (la trop rare Laura Harris vue dans Faculty) celle qui éveille des penchants plus ou moins tendres auprès de ses collègues masculins et qui fait preuve tout au long du film d’un certain esprit pratique et terre-à-terre.
Smith fait vivre et exister ses personnages avec une économie de moyens et une efficacité qui font plaisir à voir. On comprend les conflits de pouvoir, ce qui unie et aussi ce qui divise ou oppose ses personnages. Ce n’est pas une bande d’amis mais des collègues et on peut supposer que s’ils se retrouvent ensemble dans ce voyage c’est parce qu’ils ne travaillent pas bien ensemble, la suite des événements illustrent qu’en effet ils sont très loin d’être une équipe au fonctionnement optimale ce qui aura on s’en doute des conséquences funestes.
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Severance est un film souvent drôle mais n’en demeure pas moins, d’abord, un film pour frissonner quand on découvre ce qui s’est passé là quelques années auparavant et les horreurs dont la société Palisade s’est rendue complice. On ne s’étendra pas trop sur les détails pour ne pas gâcher le plaisir notamment le séquence qui voit Harris, Jill et enfin Steve donnés leurs versions de ce qui selon eux c’est passé dans le chalet délabrée qu’ils occupent et ses environs. Jill est la plus proche mais elle est loin d’imaginer à quel point.
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Les antagonistes de Severance sont anonymes, ils avancent rarement à visage découvert et ne sont pas là pour discuter, d’où leur silence et quand ils parlent ce n’est pas en anglais et il n’y a pas de sous-titre, nous ne le comprenons pas plus que leurs victimes. On imagine ce que certains diraient si de tels adversaires avaient la peau foncée mais heureusement les tueurs sont des européens de l’Est, alors ce n’est pas grave. Il n’y a rien de mal en soit à ce que les méchants soient très méchants. Le survival est intrinsèquement l’histoire d’une communication défaillante entre deux groupes soit parce qu’elle a échoué soit parce qu’elle n’a comme ici jamais été entreprise.
Cette localisation en Europe centrale ou orientale, outre qu’elle pourrait renvoyer à un imaginaire britannique qui remonte à des récits comme le Dracula de Bram Stocker en un temps ces confins des empires austro-hongrois, russe et ottomans étaient dans une perspective victorienne aussi reculées et sauvages que les rives du lac Victoria, rattache aussi Severance à des fictions plus contemporaines comme Hostel d’Eli Ross (The Green Inferno). Comme s’il y avait eu autour de 2005 une peur atavique vis-à-vis de cette autre Europe. Comme si près de quinze ans après la chute du bloc de l’Est les deux Europe déchirées par le rideau de fer n’avait pas encore recollé les morceaux. Severance n’est pas un torture porn. Il n’y a pas eu de suite à Severance.
Avec ses personnages bien campés, son humour qui s’adapte à l’histoire plus qu’il ne la façonne et sa violence abrupte Severance est une pelloche horrifique qui fait plaisir à voir tant elle se distingue du reste. Même pour filmer les effets des drogues qu’ingère Steve, le réalisateur nous épargne ces effets psychédéliques que nous avons déjà vu mille fois, pour le meilleur comme pour le pire. Christopher Smith continue son petit bonhomme de chemin entre cinéma (Black Death avec Sean Bean, Eddie Redmayne et Carice van Houten) et télé avec la réalisation de séries, il reviendra prochainement sur grand écran avec The Banishing un film de maison hantée actuellement, à en croire IMDb, en post‑production qu’on attend avec ce qu’il faut d’impatience.
R.V.