Society
Famille je vous hais
Lutte des classes, inceste, orgie, anthropophagie, bienvenue dans la Société.
Réalisation : Brian Yuzna
Scénario : Rick Fry & Woody Keith Distribution :
Année : 1989 Synopsis : William Whitney est un lycéen troublé persuadé que les apparences sont trompeuses. William vit à Beverly Hills, a une bonne famille, va dans une bonne école mais il a l’impression d’être le vilain petit canard. Ses parents préfèrent sa sœur, la blonde et craquante Nan. Et puis sont-ils seulement ses vrais parents ? L’adolescent en doute. |
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L'éditeur indépendant et artisanal, The Ecstasy of Film, qui soigne avec beaucoup d'amour ses éditions DVD/BluRay vient de nous gratifier d'une sortie du cultissime Society avec nombre de bonus sympathiques et instructifs ce qui justifie, à nos yeux du moins les tartines que nous allons vous affliger sur ce film.
Society reste malgré le temps qui passe un film étonnamment actuel même s’il accuse un peu le poids des ans dans sa forme. Commençons par ça, c’est peut-être le plus gros point faible du film, les effets visuels n’ont pas bien vieilli. Ce qui n’est pas grave puisque c’est inévitable et qu’on ne saurait évaluer la qualité d’un film sur ses seuls effets spéciaux surtout quand ils frôlent les 30 ans. Ce défaut est sans doute accentué par un budget que l’on devine plutôt restreint et les qualités de mise en scène de Brian Yuzna qui étaient limités sur ce premier film. On préfère néanmoins un bon film avec des effets visuelles datés qu’un long métrage qui n’a rien à dire où à montrer mais qui le fait divinement avec de la très belle CGI. Quant aux nostalgiques des effets pratiques et des maquillages à l’ancienne ils seront ravis et auront de quoi se réjouir devant cette débauche de chaire en latex.
Il est frappant de voir comment un certain cinéma d'horreur yankee durant les années 80 avait développé une approche à la fois beaucoup plus organique et très ouvertement sexuée de l'épouvante loin d'une certaine pudeur dans la décennie précédente. Pudeur revenue par la suite. Dans une interview en bonus à l'édition proposée par The Ectasy of Films Brian Yuzna reconnait avoir été marqué par Le Retour des morts vivants de Dan O'Bannon. Les deux hommes avaient d'ailleurs travaillé sur un projet de film qui avorta. Devant Society on pense aussi évidemment à certaines scènes choques de Re-Animator, ou à Frankenhooker de Frank Henenlotter, son quasi contemporain, les deux films donnant dans la fusion des corps créant des recombinaisons monstrueuses. Si le film a vieilli visuellement il reste horriblement pertinent dans son propos, sa substance, son fond, et dans la façon qu’il a de le montrer, sa forme.
Society est dépourvu de toute pudibonderie, cette plaie qui gangrène l’horreur américaine avec cette curieuse moralité qui veut qu'un coup de couteau dans le bide est moins grave qu'une scène de sexe simulé ou une séquence de danse lascive. On n’est pas dans la série des Conjuring, ces films d’horreurs chrétiens dont un couple de bigots sont les héros et qui comme des Super nanny du surnaturel résolvent les problèmes domestique d’une gentille famille en la débarrassant d’une force maléfique étrangère. Dans Society c’est la famille qui est le mal et c’est l’élément étranger qui est menacé. Les Whitney sous des dehors de respectabilité B.C.B.G. appartiennent à une secte qui, de l’aveu même d’un des personnages, mène le monde depuis toujours. La Society du film est un groupe incestueux qui pratique l’entre-soi poussé à l’extrême et avec la plus grande littéralité. Le déclencheur de l’action réside dans ce simple fait, les parents de William aiment plus sa sœur que lui.
Society n’est pas un film confortable qui une fois fini chasse le mal et remet les choses en ordre. Le mal contre lequel se bat William est un mal social inhérent aux sociétés humaines, celui de la domination d’une aristocratie consanguine, c’est un mal intérieur à la civilisation. Lorsque William se retrouve mit face à l’horrible vérité de sa famille et du milieu dans lequel il a évolué jusque-là, sa première réaction est d’accuser les membres de la Société d’être des extraterrestres. Mais il n’en est rien même s’ils ne sont plus vraiment humains, même si après des millénaires d’une reproduction endogamique ils sont devenus une espèce à part. La dégénérescence ici ne frappe pas le petit peuple mais la classe dominante qui c'est érigée (ou pour une métaphore plus juste abaissée) en race à part et monstrueuse.
Le film est d'autant plus mal séant que Yuzna et les deux scénaristes, Rick Fry et Woody Keith, ont inversé certains clichés de l’horreur à la mode U.S., à commencer par celui des pauvres difformes car dégénérés, un stéréotype antérieur au cinéma. Ce cliché si présent dans les films d’horreur (Massacre à la tronçonneuse, La colline a des yeux…) qu’on ne compte plus les films à base de jeunes urbains dynamiques confronter à une bestialité humaine primitive entretenue par des familles ou même des peuples primitifs (ces films de cannibales italiens récemment remis au goût du jour par Eli Roth Green Inferno). Dans Society les monstres ne sont pas en bas mais en haut de l’échelle sociale. Pire encore ils n’habitent pas dans quelque endroit reculé, délabré et insalubre, non les monstres de Society vivent dans les beaux quartiers de Los Angeles aux milieux du luxe et de tout le confort moderne. Les monstres de Society ne sont pas des laisser pour compte, non, ils sont juges ou psy, ils commandent aux forces de l’ordre ou lorsqu’ils ne sont encore qu’au lycée ils sont déjà promis au plus brillant avenir (stage à Washington, études à Radcliffe pour Nan…).
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En collant au plus près à son protagoniste principal, à de rares exception près, Brian Yuzna opte pour une focale délibérément étroite. Le spectateur n'a qu'une très légère avance sur William. Le film est avare sur sa propre mythologie, il en dit tellement peu que la mère de Clarisa Carlyn (la pas vilaine du tout Devin de Vazquez) reste tout au long du film un gros point d’interrogation. Que lui est-il arrivé ? Pourquoi est-elle dans cet état ? et tant d’autres questions restent sans réponse. Et ce n’est pas une critique, ce personnage avec son étrange présence muette est comme le vague écho d’horreurs passées, indicibles. Elle participe pleinement à la mise en place de cette étrangeté qui imprègne tout le film.
Brian Yuzna qui après avoir produit Re-Animator, l’un de nos films fétiches tout genre et domaine confondu, et From Beyond (deux adaptations de Lovecraft avec la splendide Barbara Crampton et l'inquiétant Jeffrey Combs) passe derrière la caméra pour la première fois et réalise avec Society un long métrage qui sans être dépourvu de défauts est assez singulier pour réussir à être successivement inquiétant (toute la première partie avec l’enquête menée par Bill l'ado paranoïaque) et dérangeant à mesure que le dénouement approche avant de basculer dans l'effroyable dans une scène d'orgie comme on en voit rarement au cinéma.
Bref on aime Society parce que c'est un film qui arrive à être gore sans être sanguinolent, d'autre fluide font bien l'affaire pour susciter dégoût et rire nerveux. On aime beaucoup Society parce que c'est un film mal poli et que l'idée d'élites incestueuses quand on se rappelle certains propos de Donald Trump nous procure un horrible frisson qui nous parcourt la colonne vertébrale.
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R.V.