La Cabane dans les bois
De l’art du sacrifice humain
Film post-post-moderne La Cabane dans les bois tente de reconstruire une mythologie horrifique après une déconstruction en règle
Ce n’est en règle général pas un compliment d’écrire dans une chronique d’un film qu’il paraît plus long que ce qu’il dure réellement. Il y a pourtant des exceptions à cette règle. La Cabane dans les bois est l’une d’entre elle, un film d’une heure et demie qui en paraît deux et c’est très bien ainsi !
Explication de ce paradoxe : le long métrage réalisé par Drew Goddard sur un scénario qu’il a co-écrit avec Joss Whedon (cheville ouvrière du Marvel Cinematic Universe mais surtout le créateur de Buffy contre les vampires et d’Angel ainsi que de la cultissime série Firefly) est d’une densité ébouriffante, une histoire foisonnante condensée pour plus d’efficacité et qui sait ne pas trop en dire. Le film fait plus long non par parce qu’on s’y ennuie mais parce qu’il est riche et qu’il invite à de multiples niveaux de lectures.
Dans un premier temps, placé là comme un appât, l’évident regard distancié posé sur l’horreur au cinéma et ces motifs récurrents, ces stéréotypes, ces figures de styles et ces conventions qui sont aussi bien des raccourcis narratifs pour gagner du temps que des outils fictionnels dont on use avec plus ou moins d’art, de talent ou d’inspiration. Ici il s’agit de la bande d’amis, des étudiants, qui vont passer un week-end rustique dans une cabane loin de la ville, une résidence bien modeste et hors d’âge perdue dans les bois. Un week-end tranquille pour se détendre. Il n’en sera rien, on s’en doute, on l’a déjà vu ailleurs, non ? Rien de bien surprenant à retrouver dans ce long métrage des clins d’œil à Evil Dead et sa suite reboot, Evil Dead 2 - chronique de la trilogie ici. Ce jeu avec les codes et les conventions étaient un moteur de Tuker & Dale Fightent le Mal qui a très légèrement devancer en salle La Cabane dans les bois, Scream a ouvert la voie pour ce genre de lecture post-moderne. La différence entre Tucker & Dale et La Cabane réside dans les conséquences que l’un et l’autre de ces films tirent de leurs déconstructions. Tucker & Dale… est une comédie qui revient dans son dénouement à une forme de slasher classique (un tueur dérangé qui a une vengeance liée à un traumatisme passé à assouvir) parsemé de gags et d’un chouïa de portenawak qui ne desservent pas son propos. La Cabane dans les bois propose en revanche un renouvellement de l’horreur en allant braconner sur les terres de ce bon vieux Howard Phillip Lovecraft et des ces Grands Anciens.
Mais n’allons pas trop vite. Au côté de la bande de jeunes en goguette incarnée par Kristen Connolly (Dana), Chris Hemsworth (Curt), Anna Hutchison (Jules), Fran Kranz (Marty) et Jesse Williams (Holden), ou plus tôt en face, en opposition il y a de curieux professionnels dont les motivations sont révélées à mesure que l’intrigue avance. Ceux d’en face, ceux qui ont fait venir les cinq étudiants, sont menés par deux hommes qui sont là parce que c’est leur travail, ce sont Richard Jenkins est (Sitterson) et Bradley Whitford joue (Hadley). Deux hommes mûres qui ne sont plus des débutants et qui vivent dans une certaine routine. Deux cadres supérieurs qui ont le regard distancié de types à qui on ne la fait pas. Ils sont confiants et ils ont pour eux des résultats quasi‑parfaits au cours des années précédentes, il n’y a que les Japonais pour leur damer le pion dans cette multinational de l’horreur qui les emplois. C’est sur eux que s’ouvre le film et sur ce qui ressemble à une comédie de bureau. Sitterson et Hadley sont en train de prendre un café et parle avec une collègue Lin, du département chimie, interprétée par Amy Acker (Wini dans Angel). En ouvrant avec ces personnages plutôt que le groupe d’étudiant La Cabane dans les bois nous chuchote que ce n’est pas juste à une déconstruction du film d’horreur que nous allons assister.
Après le post-modernisme et son goût pour la déconstruction La Cabane dans les bois plutôt que d’opter pour un retour aux fondamentaux en recréant les classiques cherchent à rebâtir sur les décombre.
D’abord à l’horreur un rien bordélique et déjà vue d’une familles de morts-vivants rednecks est superposée l’épouvante scientifique, froide, détachée et fataliste dirigée par des employés qui ne font que leur travail lequel est de livrer, et ce depuis des temps immémoriaux, à la mort de jeunes victimes. Le décalage entre l’humour noir, la joie et le plaisir de salariés qui se réjouissent devant la réussite de leur dur travail et la peur qui saisit les étudiants est une source de malaise savoureuse. Les vrais monstres ne sont pas les Buckner, les morts‑vivants homicides, mais des gens en apparence sans histoire, les rouages d’une machinerie surhumaine. A l’écran l’écart à la norme est marqué par la nouvelle recrue, Truman, homophone de true man le « vrai homme », joué par Brian White qui n’est pas encore blasé et surtout n’a pas participé aux préparatifs, il est distant et ne paraît pas approuvé ce qui se passe mais ne cherche pas pour autant à empêcher la poursuite du rituel. Il y a de bonnes raisons à cela dans l’intrigue même. Il est de tous les personnages à l’écran celui qui ressemble le plus au spectateur. Il est plus témoin d’un spectacle cruel qu’acteur.
Truman, Sitterson, Hadley, Lin et tous leurs collègues sont les antagonistes et font œuvre de méchants. Des vilains d’autant plus bons qu’ils ont d’excellentes raisons de faire ce qu’ils font et c’est là que l’on retrouve l’héritage, passablement chamboulé il est vrai, de Lovecraft.
Dans certains écrits le Maître de Providence avait créé des dieux extraterrestres qui avaient autrefois régnés sur Terre (Cthulhu, Dagon, Nyarlathotep…) rien de la mythologie détaillée et précises que des continuateurs étendront et enrichiront au fil des décennie mais des super croquemitaines, des monstres différents de ceux qui peuplaient le fantastique classique du XIXème siècle. Des êtres qui passent l’entendement humain et qui ouvrent sur une horreur existentielle, l’insignifiance de l’être humain. Un thème et des figures appelés à avoir une pérennité jusqu’à La Cabane dans les bois. Il y a néanmoins une différence fondamentale ici, là où Lovecraft qui avait la tête emplie de ces préjugés racialistes qui dominaient la pensée occidentale au début du XXème siècle et qui le poussaient à voir dans les gens racialement douteux (les métis, les dégénérés…) les adorateurs privilégiés de Cthulhu, Whedon et Goddard font eux de leurs sectateurs des anciens dieux des gens très classe moyenne, des personnes pour certaines d’entre elles instruites et qui n’ont de prime abord rien de louche. Nous sommes loin des populations arriérées ou primitives chères aux récits de Lovecraft. Dans La Cabane dans les bois tout au contraire est ici très high tech et a dû coûter une fortune folle. On n’est très loin de rites qui se donnent au fin fond du bayou de la Louisiane comme dans la nouvelle « L’Appel de Cthulhu ».
C’est que l’héritage de Lovecraft est passé à la moulinette de certaines des obsessions de Joss Whedon qui ne sont pas celles d’H.P. Lovecraft. Cette société sans nom qui manipule les cinq victimes fait échos tout à la fois aux militaires chasseurs de démons vus dans Buffy (Truman est un ancien militaire) et à Wolfram & Hart le cabinet d’avocats louches ennemi d’Angel dans sa série. Un film lovecraftien sur bien des plans mais qui est fait pour le XXIème siècle et qui met de côté les éléments odieux à la société contemporaine (ce qui n’est pas un mal en soit) de l’œuvre de l’écrivain depuis longtemps disparut pour coller à des questionnements contemporains dont on vous laisse le soin de dresser la liste avec la conviction qu’il n’y en aura pas deux d’identiques car La Cabane dans les bois est vraiment une œuvre riche qui ouvre sur une foule d’interprétation depuis la critique du capitalisme sans scrupule à celle de l’individualisme qui ne comprend pas le sacrifice au risque de provoquer des catastrophes, libre à vous d’y trouver ce que vous venez y chercher. Chaque nouveau visionnage est l’occasion de prêter attention à de nouveau détails et ouvre sur de nouvelles questions et interprétations.
R.V.