La malédiction
d'Arkham
Mon grand-père ce salaud
Une pincée de Poe, trois gouttes de Lovecraft et deux cuillérées de Corman telle est la recette du film du jour
Titre original : The Haunted Palace
Réalisateur : Roger Corman Scénario : Charles Beaumont d'après le poème "The Haunted Palace" d'Edgar Allan Poe et la Nouvelle "L'Affaire Charles Dexter Ward" d'Howard Phillips Lovecraft Distribution :
Année : 1963 |
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Synopsis : Joseph Curwen est un sorcier qui pratique des rites impies pour le compte d’une effroyable divinité. Las de ses méfaits les habitants du village d’Arkham donnent l’assaut à son manoir et brûlent vivant le zélateur de Yog-Sothoth qui dans son dernier souffle maudit la ville. Un siècle plus tard son petit‑fils, Charles Dexter Gordon, ignorant tout de ce tragique passé vient découvrir, accompagné d’Ann son épouse, son héritage et se heurte, à peine arrivé, à l’hostilité des villageois mais la plus grande menace pour cet homme n’est pas là car les maléfices de son ancêtre sont toujours vivants entre les murs de pierre de son ancienne demeure.
« The Haunted Palace » (1839) est un poème d’Edgar Allan Poe (1809-1849) qui a donné son titre anglais et c’est à peu près tout à ce film qui en français s’appelle La Malédiction d’Arkham. Ce qui nous laisse dans un des rares cas où le titre dans la langue de Baudelaire est moins mensonger que celui de la version originale. Oh ce n’est qu’un petit mensonge et ça n’enlève rien à la qualité du film mais il faut bien admettre qu’au final La Malédiction d’Arkham bien que faisant parti du cycle Poe réalisé par Roger Corman, entre 1960 et 1964, doit davantage à Howard Phillips Lovecraft (1899-1937) qu’à l’homme de lettres de Baltimore.
Pour comprendre ce paradoxe il nous faut faire un léger retour en arrière. En 1960 quand sort dans les alles de cinéma La Chute de la Maison Usher, Roger Corman n’était pas déjà ce pape du cinéma bis et d’exploitation qu’il est encore alors que nous écrivons cette chronique il était néanmoins un réalisateur qui avait derrière lui quelques longs métrages et le projet d’adapter une poignée d’écrits du grand Edgar Poe. Le succès de La Chute de la Maison Usher donnerait rétrospectivement le coup d’envoi d’un cycle de huit films dont l’ampleur dépasserait les attentes du réalisateur qui aux yeux de beaucoup a signé avec ce cycle ce qu’il a fait de mieux derrière la caméra.
Le cycle Poe est un succès car en plus de ses qualités cinématographiques il arrive au bon moment car ce début des années 60 est placé sous le signe de l’horreur gothique qui puise à la meilleure source du fantastique littéraire du XIXème siècle. La Hammer en rachetant les droits des monstres de la Universal avait dès la fin des années 50 réacclimaté les Dracula, Frankenstein et autre Momie à cette Angleterre qui les avait vus naître au siècle précédent. Le succès notamment aux Etats-Unis de la Hammer à fort bien pu pousser Corman à s’essayer au film d’horreur en costume d’autant que les italiens étaient eux aussi sur le coup avec notamment Mario Bava (Le Masque du Démon lui aussi sorti en 1960). Le calcul économique n’empêche pas Corman de sincèrement aimé l’œuvre de Poe et de se démener pour offrir à l’écrivain le plus bel écrin possible compte-tenu de ses moyens limités. Outre La chute de la Maison Usher et La Malédiction d’Arkham, le cycle compte aussi le très réussi Le Masque de la mort rouge et La Tombe de Ligeia qui le parachève en 1964 avec cette perle noire d’un amour par-delà la mort.
L’intention première de Corman était bien de réaliser une pure adaptation du poème « The Haunted Palace » mais des contraintes de tournage imposeront qu’on accélèra la préparation du film ce qui amena à aller piocher dans un scénario préexistant, une adaptation de la longue nouvelle « L’Affaire Charles Dexter Ward » de Lovecraft, pour donner plus de substance à La Malédiction d’Arkham. Ce choix de rattacher ce film au cycle Poe est avant tout une décision markéting mais la greffe prend bien. Le calcul de capitaliser sur un cycle à succès et la plus grande renommée de Poe en regard de celle de Lovecraft est habile et on pourrait crier au scandale si le résultat final n’était pas si convaincant. Le public découvre une histoire de Lovecraft, avec le Necronimicon, Yog-Sothoth et la Nouvelle‑Angleterre qui aurait été écrite par Poe. Si l’esprit du récit est lovecraftien la lettre en est poesque (pardon pour le néologisme) en diable et la réalisation est indubitablement celle de Corman.
Le réalisateur retrouve pour La Malédiction d’Arkham des collaborateurs déjà présent sur d’autres films du cycle depuis l’incontournable Vincent Price (interprète de Charles Dexter Ward et Joseph Curwen) en passant par le scénariste Charles Beaumont (L’Enterré vivant, la troisième entrée du cycle) ou bien encore le directeur de la photographie Floyd Crosby. Pour donner la réplique à Vincent Price, acteur fétiche de Corman, on retrouve les actrices Debra Paget dans le rôle d’Ann l’épouse de Ward et Cathie Merchant dans celui de la maîtresse de Curwen, dans les rôles masculins on remarquera Lon Chaney Jr. en vieux complice du démoniaque Joseph Curwen ou bien encore Frank Maxwell dans le rôle du docteur Willet, un personnage intéressant puisqu’il est l’un des rares hommes du cru à ne pas se joindre à la foule lyncheuse.
La Malédiction d’Arkham est une des réussites de l’horreur gothique du début des années 60, un film qui en moins d’une heure et demie en a plus à offrir que certaines productions horrifiques récentes sur deux heures. Peu bavard ce long métrage est parcimonieux dans ce qu’il dévoile de son arrière-plan, il n’y a pas de dialogues explicatifs pour faire l’histoire du Necronomicon ou disserter sur Yog-Sothoth. La sur-explication est un vice moderne qui aurait cassé le rythme de la narration avec des informations qui n’ont pas vraiment d’importances pour la bonne marche de l’intrigue. Un budget limité de par ses contraintes est un bon moyen de se tenir à l’écart du superflu surtout si on veut quand même mettre en scène une histoire où il se passe beaucoup de choses et que son film n’ait pas l’air trop fauché.
Bien sûr ce long métrage ne vous fera sans doute pas peur mais il est assez varié pour ne pas avoir de temps mort depuis l’ouverture (un retour dans le passé qui pose le contexte) jusqu’à son dénouement La Malédiction… n’est pas avare en meurtres notamment parce que Joseph Curwen ramené à la vie à une vengeance à assouvir par l’entremise de son petit-fils, au risque de retarder un projet plus important. Il y a aussi ce qu’il faut de villageois en colères prompts à sortir fourches et torches, surtout les torches, le feu est un motif récurent du mécontentement populaire. Surtout le film emprunte à d’autre sous-genres du cinéma d’horreur pour colorer cette histoire gothique. On songe au film de monstres, la malédiction jetée par Curwen avant sa mort entraîne la naissance d’enfants malformés, il y a aussi des éléments qui proviennent du film de maison hantée. L’arrivée des Ward dans le manoir, les secrets qui y sont dissimulés, le passé qui revient tourmenter les vivants et l’emprise que les lieux ont sur Charles sont directement piochés dans les lieux communs des histoires et donc des films de maisons hantées.
Avec sa narration circulaire le long métrage met en scène la lutte du Bien contre le Mal sans que jamais l’un ne parvienne à définitivement l’emporter sur l’autre, ce qui est finement joué. Oui il y a assez d’habilité pour que La Malédiction d’Arkham demeure un bon divertissement et un honnête film qui vieillit avec ce qu’il faut de dignité et ce en dépit de son petit budget et du gros demi-siècle qui nous sépare. Dernière chose avant de vous laisser, Francis Ford Coppola a fait ses premières armes auprès de Corman, une école à la dure mais très formatrice. Sur La Malédiction d’Arkham, Coppola a participé, sans être crédité, aux dialogues, pour ce qu’on en sait Coppola n’en tient pas de rancune à Corman, le future réalisateur de la trilogie du Parrain, d’Apocalypse Now ou de Dracula ne serait pas le cinéaste qu’il est devenu si comme d’autres (qui se distinguent par leur indépendance vis-à-vis d’Hollywood) il n’était passé par cette académie du cinéma où l’on apprend à tout faire depuis la production jusqu’au montage et à la commercialisation.
R.V.