Tucker & Dale
fightent le mal
Bienvenue chez les ploucs
Tucker & Dale fightent le mal ne vous fera sans doute pas peur mais ce slasher/survival pour rire pose deux trois bonnes questions sur ces genres chéris du fan d’horreur.
Titre original : Tucker and Dale vs Evil
Réalisateur : Eli Craig Scénario : Eli Craig & Morgan Jurgenson Distribution :
Année : 2010 |
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Synopsis : Dale et Tucker se rendent pour la première fois dans leur maison de vacances dans les Appalaches. En chemin ces deux gars de la cambrousse croisent la route d’une bande d’étudiants en vacances qui vont faire du camping. Et en dépit du bon sens les cadavres vont commencer à s’accumuler sans que ni Tucker, ni Dale ne comprennent rien à ce qui leur arrive.
Le genre de la comédie horrifique est très prisée en ce début de XXIe siècle, le succès de Shaun of The Dead (2004) n'y est pas étranger. Tucker et Dale fightent le mal (2010) joue avec les codes du survival et du slasher. Au premier il emprunte le décors sauvage (forêt, la montagne et un lac perdu) ainsi que l'opposition brutale entre urbains et ruraux, du second il s'approprie les étudiants têtes‑à‑claques en goguette, les personnages dont le but premier est de mourir dans d’atroces souffrances et le tueur fou. Bien sûr tout est brouillé pour les besoins de la comédie. En premier lieu le long métrage d’Eli Craig renverse les perspectives traditionnelles et attendues du film d’horreur. Nous sommes avec les ploucs, nos deux héros sont Tucker (Alan Tudyk) et Dale (Tyler Labine), et c'est leur week-end qui est perturbé par la proximité des étudiants de la ville. Autre léger pas de côté, on ne retrouve pas le combat entre autochtones (les rustres de la campagne) et les étrangers (citadins en déplacement). Tous sont étrangers à la région, même Tucker et Dale qui découvrent que la maison dans les bois qu'ils viennent d'acquérir est toute pourrie mais comme ce sont des bons gars et qu’ils ont des goûts simples et qu’ils sont peut-être aussi un brin naïfs ce taudis est pour eux la maison de vacance de leur rêve.
Il est malin de ne pas opposer deux gars du cru à des gamins de la ville mais en fait deux groupes venus là en vacances, se détendre, passer du bon temps à la cool. L’antagonisme est pourtant installé dès le début du film. Les étudiants ne voient en Tucker et Dale que des archétypes de bouseux de cinéma et il ne faut pas attendre longtemps, le premier dialogue suffit, pour que surgisse dans la bouche des étudiants les références attendues à Délivrance, le cultissime film de 1972 signé par John Boorman. Mais ce n’est pas le cinéma qui a inventé le redneck et le white trash - le déchet blanc. La littérature l’a précédé et aussi des préjugés sociaux, voire raciaux, le white trash est-il encore un vrai blanc ? Tout cela est bien sérieux et nous éloigne d’un fait important, Tucker & Dale fightent le mal est drôle et porte un regard amusé et amusant sur le slasher et le survival.
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Le slasher est tellement codifié qu’il a dès les années 80, avec par exemple Week-end de terreur, été le terrain d’expérimentations pour des œuvres réflexives sur le genre et ce sans attendre les Scream. Tucker & Dale fightent le mal reprend cette veine en accentuant l’absurde de la situation. Parti d’un simple quiproquo alimenté par une incompréhension mutuelle et son lot de préjugés. Pour ceux qui ne l’auraient pas compris ces thèmes sont explicitement présentés par le personnage d’Allison (Katrina Bowden), l’étudiante en psychologie qui pense que si les humains communiquaient mieux la Terre serait un monde meilleur, c’est à la fois simpliste mais pas faux. Il a suffi d’un geste mal interprété pour que les morts commencent à s’empiler autour de la cabane que Dale et Tucker tiennent pour leur maison de vacances avec même un lac pour la pêche, le rêve qu’on vous dit.
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C’est la mentalité du eux contre nous qui est ici interrogée. Cette vision belliqueuse et peu propice à la calme discussion est celle du très irritant Chad (Jesse Moss parfait dans ce rôle de bout-en-bout antipathique) chef auto-proclamé du groupe des étudiants et petit chef de guerre amateur du lancer de hache. Son personnage ressemble à un avatar post-moderne et juvénile du personnage de Burt Reynolds dans Délivrance. Il est, sous des dehors de gendre idéal, le négatif de Tucker et Dale. Chad est un pousse‑au‑crime et il est celui qui plus que tout autre provoque une confrontation qui était évitable parce que cette affrontement il l’a recherché à défaut de l’avoir provoqué.
Si Tucker & Dale fightent le mal est un film comique il affiche néanmoins un solide body count et une suite de mises à mort aussi absurdes que savoureuses, nous vous laissons le plaisir de la découverte mais le sang coule et il y a même un soupçon de gore dans la réalisation. L’incapacité à communiquer entre les étudiants et le duo de gars de la campagne est un ressort comique éprouver mais est aussi présent dans nombre de films d’horreur. C’est parce qu’on ne se parle pas qu’on s’entre-tue que ce soit dans La Colline a des yeux ou Massacre à la tronçonneuse (qui est paraphrasé ici et là) et que dire de ces grands taiseux de Jason Voorhees et de Michael Myers ? L’altérité entre les familles de white trash de La Colline… et de Massacre… avec le groupe de citadins qui passe à proximité de leurs repères n’explique que partiellement la violence qui est la seule forme de communication entre les uns et les autres. Quant à Voorhees et Myers s’ils sont deux figures du Mal dans ce qu’il a d’absolu, leur mutisme ne saurait s’expliquer par leur seul nature maléfique, le cinéma est rempli de méchants vraiment méchant qui sont bavards au point que ça en devient gênant parfois.
Tucker & Dale fightent le mal ne fait pas peur nous n’allons pas prétendre le contraire. Là n’est pas son propos, ce n’est pas son but, pourtant quand on le regarde à froid difficile de ne pas éprouver un léger malaise devant toutes ces morts gratuites. Le long métrage d’Eli Craig est d’autant plus efficace qu’il ne rit pas du slasher et du survival mais qu’il rit avec. Car pour finir on se retrouve en terrain familier et on l’a nôtre tueur psychopathe qui est mort mais pas vraiment, on retrouve aussi la final girl et le retour à la normale qu’on devine fragile est ce qu’il y a de plus étrange dans Tucker & Dale fightent le mal.
R.V.